Une ombre sur le mur
Je croyais achevée la restauration de notre vieil opéra Graslin... Mais il paraît qu'on n'a pas tout à fait fini de le remaquiller. Debout sur sa nacelle, un ouvrier travaillait hier à masquer de blanc les joints de ciment des colonnes. Et son ombre avec lui travaillait sur le mur, juste au-dessous du nom prestigieux de Crucy - l'architecte des Lumières qui nous légua le fameux monument aux huit Muses.
La nacelle avançait, le pinceau besognait, l'ombre peinait comme elle aurait dansé, suspendue au soleil qui frappait la façade.
Il n'était pas de ceux dont on retient le nom, celui qui devant nous travaillait comme une ombre.
Mais sa silhouette obscure imprimait sur le mur la belle forme humaine, unique et si vivante, des armées d'ouvriers qui bâtissent en ce monde les monuments, les gloires, et les réputations.
Funambule laborieux, il nous peignait là-haut, étiré comme un fil au bord de son pinceau, le geste universel du grand effort humain qui se trace dans l'ombre.