Architecte des ombres
L'ombre souple, inclinée comme une fleur au bras du jour, posait tant de lumière sur le mur que je me suis arrêtée, éblouie. Le réverbère s'était uni au ciment lisse et nu, au bois grossièrement cloué, et, ensemble, par la grâce de l'ombre, ils étaient devenus cette épure - cette fleur dans ce vase, cette souple aiguille de cadran solaire emportée dans sa ronde. Le bâtiment banal en avait été transfiguré.
Et j'ai rêvé d'un architecte nouveau, qui saurait bâtir avec les ombres. Qui non seulement penserait le bâtiment, mais penserait aussi le jeu compliqué des ombres se posant sur ce bâtiment. Qui songerait à disposer les poteaux et les arbres, le flot des voitures et celui des passants, chaque grille, chaque banc, chaque haie, chaque fleur, et jusqu'à chaque brin d'herbe de la rue, assez habilement pour que chaque muraille, à chaque instant redessinée de silhouettes mouvantes, soit enfin cet écran où s'inscrirait le monde en jeu d'ombres chinoises.