Une rencontre au soleil du soir
Un rayon du couchant avait posé sur l'oeil vide l'étincelle de vie. L'ombre bleue dévorait le front creux de rides ardentes et de soucis profonds, remodelait les tempes jusqu'à l'os et emplissait les lèvres lourdes d'une plainte enfin pure, vraiment humaine.
Le mascaron des rues s'était animé, il était devenu visage, il avait atteint ce soir-là cette perfection qui l'avait toujours habité, mais que le quotidien recouvrait jusqu'alors pour moi de sa patine d'indifférence et de banalité. C'était comme si le soleil du soir, fouinant négligemment, avait trouvé le rêve enfoui par l'artiste au coeur de la pierre inerte et me l'avait rendu enfin visible.
C'est ainsi. Pour qu'une oeuvre révèle sa vérité cachée, sa perfection secrète, il faut que le soleil le veuille. Il faut qu'y coure la lumière juste, que s'y penche l'ombre favorable, que passe au bon moment dans le soir ébloui le badaud qui regarde.
Il n'y a pas de chefs-d'oeuvre, il n'y a que des rencontres. Certaines passent, légères et séduisantes, mais si vite oubliées, vrais déjeuners de soleil. D'autres, tardives, se poursuivent au-delà de la nuit, longues et nécessaires, comme un dialogue avec l'ami.
Qui peut savoir pourquoi ?