Une clef
Cette clef tout là-haut, si clinquante, éclatante, quelle porte immense au ciel pourrait-elle nous ouvrir ?
Est-ce la clef des songes, dessinée au clair de la lune par quelques jeunes gens qui avaient pris la clef des champs ? Est-ce la clef du paradis, la blanche clef des coeurs naïfs, négligemment jetée sur les toits de la ville ? Est-ce la clef de voûte du château en Espagne où l'on aimerait vivre et dont on a depuis longtemps laissé rouiller la clef de fer sous la porte écroulée ? Ou bien est-ce la clef de la portée céleste dont l'armature de nuages et d'étoiles règle tout notre effort vers l'harmonie ?
Cela pourrait bien n'être que la clef-fée toute sanglante de Barbe-bleue, ou même une simple clef de pendule, ou encore une clef anglaise très ordinaire, une clef plate toute bête, ou - pourquoi pas ? - une de ces modernes clefs USB, qui ne font plus rêver.
De toute façon, chacun peut voir que cette clef du royaume des toits n'est en réalité qu'un tag, anonyme et laid peut-être, encerclé par la ville et bientôt effacé. Une fresque clandestine et rebelle qui n'implorera pas la clémence.
Qui sait pourtant si ce n'est pas la clef de tout ?
Cet effort clairvoyant pour poser très haut une énigme dont la clef échappera toujours, au risque de se rompre le cou,
ce désir de poser sur les murs quelque chose de soi, qui claque, éclate et brille de couleurs, quand tout est gris et qu'on marche inconnu dans les rues,
cette passion des mots à écrire de nouveau et à recolorier, à recercler de frais, dans un monde très vieux,
cet élan vers le ciel, qui s'arrête aux gouttières, et qui voudrait aller plus loin,
qui sait si ce n'est pas, tout simplement, la clef de toutes les oeuvres humaines, des grandes oeuvres, et des petites aussi ?
Le mot-clef, en somme, ou, pour le dire autrement, puisqu'il est de toutes les langues comme il est de tous les coeurs humains, la clef universelle, the key.