Un sourire
Le Passage Pommeraye est en travaux. Partout on gratte, on nettoie et on racle. Les araignées s'enfuient et les souvenirs trébuchent au milieu des gravats.
Je m'étais avancée, téméraire, entre les échafaudages. Sous les miroirs qu'on avait déposés pour les restaurer, on avait mis les boiseries à nu, et, comme sur les plâtres des maisons qu'on déshabille de leurs papiers peints, des plans et des chiffres posés là par les ouvriers du passé étaient remontés à la surface, après un siècle et demi de sommeil. Parmi ces gribouillis ressuscités, j'ai découvert ce bref profil. Un tout petit dessin crayonné, un peu pâli mais encore bien lisible. Expressif et maladroit, élégant et risible, comme un officier bellâtre de 1842, armé de favoris et de moustaches, remontant la rue Crébillon pour se rendre au théâtre - ou au café - en lorgnant toutes les belles..
Deux siècles qu'il était là, jeté rapidement sur la paroi du Passage en construction par un ouvrier malicieux, ou par un lycéen insolent qui passait là... par un rêveur ou un bon à rien d'alors, mort depuis si longtemps.
Mais le dessin sur le bois était comme ce sourire du chat du Cheshire d'Alice, qui flotte dans l'air vide bien après que le chat ait disparu. Un sourire léger arraché au temps, et qui flottait encore près de nous avant de disparaître. Bientôt, demain, aujourd'hui même peut-être, on reposera le miroir. Et le sourire attendra pour deux siècles encore, un peu triste mais patient, dans son coffret de verre et de vieux bois.