Un bouddha dans le jardin
Pour F., si par hasard elle lit ce texte, avec toute mon admiration pour la tranquille audace qui la caractérise
En passant devant cette sombre statue de soldat chinois, réplique agrandie de l'une des figurines de la fameuse "armée d'argile" trouvée dans le tombeau d'un empereur, triste planton qui garde, non le royaume des morts, mais la grille inamicalement hérissée d'une maison de ma ville, je me suis souvenue d'une histoire charmante que m'a racontée l'une de mes amies. Une des plus adorables histoires que j'aie entendues depuis longtemps.
Mon amie venait de se fâcher avec son mari, quand elle avait eu l'idée, soudain, d'acheter un bouddha de pierre, pour le placer dans le jardin de leur petit pavillon. Elle se le représentait si bien... ce serait un bouddha de modestes proportions, à la mesure de l'étroit terrain, pas un bouddha de Bâmiyân, évidemment, mais tout de même un bouddha d'une certaine taille, un bouddha de pierre blonde, qui éclairerait la pelouse, et qu'on verrait très nettement depuis le salon, les jours tristes.
Naturellement, ce désir brusque et mal expliqué de bouddha n'avait pas contribué, une fois exprimé à haute voix, à pacifier la vie du couple. Et, comme il arrive souvent, contrarié, le désir de bouddha avait irrésistiblement grandi, était finalement devenu si impérieux, qu'après maintes paroles un peu aigres, maintes petites bouderies de part et d'autre, il n'y avait plus eu d'autre choix que d'obéir à ce mystique appel.
Ils s'étaient donc rendus ensemble à la jardinerie pour choisir la statue qui convenait le mieux, un très beau vikarta mudra, assis, une main levée, dans la position de l'enseignement.
On avait passé le bouddha à la caisse, payé le bouddha par carte bancaire, emballé le bouddha dans une bonne épaisseur de polystyrène, couché le bouddha bien à plat dans le coffre de la voiture.
Ensuite, avec beaucoup de peine, le mari de mon amie avait transporté en bougonnant ces trente-cinq kilos de sagesse jusqu'au fond du jardin, les avait calés, pour qu'ils ne s'effondrent pas, dans la petite fosse creusée exprès sur la pelouse, avait retiré la gangue de polystyrène, tassé la terre, et essuyé la transpiration qui lui couvrait le front. Puis il s'était un peu reculé, et il avait regardé le bouddha, dont la douce pierre blonde se détachait lumineuse, comme une mandorle sur le mur de parpaings. Il l'avait regardé un moment, un bon moment. Peu à peu il s'était mis à sourire, et même presque à rire, car le bouddha était très beau, et si paisible, si serein au milieu des narcisses et des crocus du premier printemps, qu'il se sentait tout à fait heureux. Alors il avait regardé mon amie, s'était souvenu qu'elle était belle et délicieuse et qu'il l'aimait depuis toujours, l'avait prise par la taille, et l'avait longuement embrassée, mettant ainsi fin, sous les yeux clos mais approbateurs de la statue, à la brouille qui les avait absurdement séparés. Un bouddha dans le jardin, voilà de quoi être heureux en effet. Trente-cinq kilos d'impermanence. Et l'infinie légèreté du nirvana. Et toute la force de la bienveillance et de l'amour pour garder la maison.
Ensuite, avec beaucoup de peine, le mari de mon amie avait transporté en bougonnant ces trente-cinq kilos de sagesse jusqu'au fond du jardin, les avait calés, pour qu'ils ne s'effondrent pas, dans la petite fosse creusée exprès sur la pelouse, avait retiré la gangue de polystyrène, tassé la terre, et essuyé la transpiration qui lui couvrait le front. Puis il s'était un peu reculé, et il avait regardé le bouddha, dont la douce pierre blonde se détachait lumineuse, comme une mandorle sur le mur de parpaings. Il l'avait regardé un moment, un bon moment. Peu à peu il s'était mis à sourire, et même presque à rire, car le bouddha était très beau, et si paisible, si serein au milieu des narcisses et des crocus du premier printemps, qu'il se sentait tout à fait heureux. Alors il avait regardé mon amie, s'était souvenu qu'elle était belle et délicieuse et qu'il l'aimait depuis toujours, l'avait prise par la taille, et l'avait longuement embrassée, mettant ainsi fin, sous les yeux clos mais approbateurs de la statue, à la brouille qui les avait absurdement séparés. Un bouddha dans le jardin, voilà de quoi être heureux en effet. Trente-cinq kilos d'impermanence. Et l'infinie légèreté du nirvana. Et toute la force de la bienveillance et de l'amour pour garder la maison.