Tintin à Saint-Nazaire
A Saint-Nazaire, j'ai voyagé avec Tintin, j'ai remonté le temps. Je suis allée sur le port voir s'en aller les grands paquebots transatlantiques, j'ai couru derrière le général Alcazar, je me suis mêlée à la foule toujours vivante des vignettes colorées.
Dans chacune des sept boules de cristal il scintillait encore, intact et miroitant, l'ardent émerveillement de mes lectures d'enfant. Il n'avait rien perdu de sa lumière.
Et j'ai cru comprendre ce que c'est qu'un "classique" : un de ces livres qui gardent, après qu'on les a lus, quelque chose de notre âme, quelque chose qu'on ne peut retrouver qu'en les relisant. Un livre à double fond, dont nous façonnons en nous peu à peu la clé qui ouvrira le dernier tiroir, celui qui en contient les vraies richesses. Si bien qu'aucun livre ne peut accéder à ce rang de "classique" qu'après que le temps a passé, enfermant en lui un pan de la vie d'une époque autant que de celle de chacun de ses lecteurs successifs. Si bien aussi qu'il ne faut pas s'étonner de découvrir, après soixante-cinq ans, qu'une simple bande dessinée ait pu devenir un "classique", alors que tant de chefs-d'œuvre vénérés en leur temps ont été sacrifiés à l'Oubli, ce dieu impartial et terrible qui veille sur les arts.