The name
Au village il n'y a pas de "tags". Sauf celui-là, je crois. Il s'efface de pluie, s'éraille au crépi pelé, se mange de lichens. Posé comme un ectoplasme sur le mur fatigué, il va très doucement vers sa disparition.
Sortir à la nuit tombée muni d'un marqueur pour aller, mélancoliquement, écrire les lettres recopiées d'un mot nouvellement appris ; tracer sur le ciment, à la lueur falote d'une lampe de poche, sans trop de repentirs, les arrondis tout d'abord esquissés aux marges d'un cahier : travail absurde et minutieux d'écolier maladroit, désoeuvré, un samedi d'ennui, un dimanche de vacances, un jour qui n'en finissait pas de finir...
L'inscription n'est pas assez visible pour être vraiment laide, elle est juste un peu pitoyable. Et d'un vide absolu. Car justement elle ne dit rien, ne trouve rien à nous dire dans son effort dérisoire pour être là quand même, et rouler sur le mur, en larmes égarées, en puzzle anonyme.
Pourtant, "THE NAME"... C'est vrai, c'est là qu'est le problème, la "question" véritable, celle d'Hamlet, de Shakespeare et des autres... même un écolier de ce petit village a assez vécu pour le comprendre, et l'exprimer à sa façon, un soir de désarroi ou de révolte.
Trouver de quoi remplir un nom d'une faible présence. Poser, quelque part, un instant, pour exister, ou savoir qu'on existe - ce qui peut-être pourrait importer davantage -, son nom. Le nom. Celui qu'on s'est donné, ou qu'on vous a donné. Ou même pas un nom, juste la forme d'un nom, la possibilité d'un nom, l'énigme d'une vie, la trace vague d'un passage. Et puis se résigner, laisser la pluie, la nuit, le lichen et le temps en faire tout ce que bon leur semblera.