Tête dure
Esplanade Camille Mellinet - Médiathèque Jacques Demy
C'est un homme qui n'a pas de corps. Rien qu'une tête sombre, sur un buste abîmé.
C'est un homme qui n'a pas de lèvres, qui n'a pas de regard. Rien qu'un crâne énorme et qui penche.
Coincé contre un drôle de rocher qui s'écaille en reflets, il reste là, à contempler le monde, comme un Prométhée rêveur qui aurait collé son front sur une vitre, la nuit, et ne verrait de la vie que son ombre.
Sa tête est lourde et dure, si lourde, si dure, qu'il faut pour la tenir ce coussin tout carré. A moins que ce ne soit pas du tout un coussin, ce carré de quatre fois quatre carrés, mais un problème, un carré magique par exemple, celui de Dürer pourquoi pas, dont les chiffres se seraient effacés, et qu'il lui faudrait retrouver.
Il est aux prises avec des questions qui l'écrasent, c'est clair, et sa pauvre tête si lourde n'a pas, comme celle de l'ange Mélancholia, la ressource de se poser sur la paume d'une main, sur un coude plié, sur un coin de chair chaude. Tête sans corps, homme tronc, front abstrait, aux prises avec tant de problèmes contre lesquels il a cessé de lutter, il tombe de tout son crâne. Face au vide qui l'attire, il n'y a plus que ce mur de mauvais béton mal recouvert de marbre, ce dernier rempart qui s'effrite et fait de lui un aveugle.
Je crois que c'est un homme de notre temps.