Soldes
Il faisait aujourd'hui, après tant de jours noirs et glacés, un temps délicieux, printanier. Je marchais dans la rue, le pas dansant, l'esprit léger, comme j'aurais marché vers moi-même, quand j'ai été arrêtée par ces soldes :
"-50 % sur tout l'hiver"
Comme elle y allait, la vitrine emplie de ciel et de lumière, avec ses affichettes vertes bondissant sur le verre en longues sauterelles, comme elle chantait, comme elle stridulait pour attirer les passants : "Allons, venez et achetez, liquidons-le, le sombre hiver, finissons-en avec les pluies en stocks, les nuages de bure noire et les brouillards de laine grise, faites-en provision à bon compte pour vos vieux jours, emplissez vos placards à naphtaline et vos malles au grenier, et puis n'en parlons plus ! Bazardons-le, le vieil hiver, des hiers dépassés faisons table rase, pour enfin faire entrer à l'étalage les ciels tremblants de soie, les délicats nuages de fine mousseline, les doux matins de gaze rose, les forêts bleues de velours tendre, les grands jardins de liberty, les caracos de lamé flambant, les moires flottantes des écharpes, et les décolletés de soleil... tout le printemps des étoffes et des colifichets !" Je me serais laissée séduire, peut-être, si je n'avais été hélée, un peu plus loin, par une autre vitrine criaillante qui affichait déjà, en couleurs bien plus vives, sa première collection de printemps.
C'est si curieux, ce langage impérieux de la mode, qui nous vend l'hiver, le printemps, l'été, l'automne, au mètre et dans toutes les tailles, et toujours en avance, comme des objets de désir aussitôt obsolètes - alors que les saisons qui vont en cercle autour de nous battent si calmement, si sûrement, pour nos coeurs de vivants, la grande pulsation d'éternité - ce rythme heureux de valse qui toujours recommence.