Ressources
Il est temps que je fasse l'inventaire. Le compte et le décompte. Le bilan, le grand déballage. Le solde enfin de mes ressources.
Savoir de quoi je dispose, sur quoi je peux compter... Dans quelles malles puiser le grand tissu des mots, dans quelles mines creuser les galeries des phrases. De quel bois réchauffer ma mémoire, sur quels sentiers rouler la carriole aux images.
C'est un compte... à peu près - car tout noter, tracer le point final, tirer la barre du total, je crois que je ne le pourrai pas. C'est que, voyez-vous, tout invite, tout appelle, et les coffres débordent... Il y a tant de choses à saisir, à poursuivre, tant de choses qui dansent, qui bavardent, qui s'approchent et qui fuient : des rues, des reflets, des lumières, des couleurs, des enseignes et des lettres. Des passants quelquefois. Quelques fleurs et des arbres. Des coins de ciel comme des perles grises, et d'autres bleus comme des planètes. Des brassées de soleil, des nuages qui voguent. Des sentiers bien tracés, des routes interdites. Des cercles, des carrés, des bouts de labyrinthes. Du jour, de la nuit, et beaucoup de pénombre. Des balcons très légers, de lourds frontons obscurs. Des portes qui s'ouvrent et se referment, des fenêtres qui battent comme des coeurs d'oiseaux sur les lamelles étranges du kaléidoscope.
Bon, ça ne va pas si mal. Il y a de quoi, comme on disait chez moi, au village...