Racines
Racines de peupliers - jardin du château à Selommes
Mes racines sont profondes, entremêlées, souterraines, rudes et musculeuses.
Sous ma vie elles tracent de grands arbres inverses, des feuillages immenses tout remués de vieilles ombres, des forêts murmurantes de paroles enfouies et de vies enterrées.
Longtemps j'ai marché sur elles en vacillant, trébuchant sur les pièges qu'elles me tendaient, craignant qu'elles ne m'étouffent entre leurs griffes vives, tremblant qu'elles ne m'attachent de toutes les cordes fibreuses de leurs veines.
Puis un jour j'ai couru, j'ai cru les distancer, j'ai cru briser le lien et défaire tous les noeuds.
Alors, sans bruit, elles ont rampé jusqu'à moi, patiemment, très longtemps, comme des bêtes exigeantes et fidèles qu'on ne peut pas abandonner.
Quand elles ont été là, tranquillement sûres de leur droit, je les ai laissé soulever doucement le sol de ma maison lointaine et solitaire, je les ai laissé remuer mon coeur plein d'un très vieil humus. Mes pas s'enfonçaient dans les leurs et retrouvaient les lentes routes oubliées qui menaient aux villages et aux maisons fumantes, aux grands champs moissonnés par le vent, aux visages implorants de ceux qui voulaient vivre encore. Et ces routes qui avançaient en arrière m'emmenaient loin, très loin en avant de moi-même.
Racines, longues lourdes racines, le chemin que vous tracez, on ne choisit pas de le prendre,
mais on peut décider de l'habiter
comme un arbre sur la terre.