Questions
"La terre est bleue comme une orange" (Paul Eluard)
Aux Ateliers du Carnaval, je suis restée un moment à observer ces grandes figures encore inachevées. Entreposées côte à côte par hasard, elles avaient pourtant l'air, ainsi rapprochées, de raconter quelque chose comme une histoire. Mais quelle histoire ? Et peut-être après tout n'avaient-elles pas été entassées ainsi par hasard, peut-être étaient-elles au contraire, ensemble, actrices et figurantes d'une grande scène mythologique, d'un mystère qu'on montrerait bientôt dans les rues, sur un chariot solennel fendant lentement la foule. On dit justement que le thème retenu cette année est celui des "Contes et Légendes". Seulement voilà : comment savoir ? A qui demander, puisqu'en ce dimanche après-midi les carnavaliers s'étaient absentés ?
Voyons, ai-je d'abord pensé, si quelque chose ici nous est dit - et, oui, oui, finalement, je le crois - on ne peut le comprendre qu'ainsi, en forme d'avertissement :
"Des géants fous, grotesques mais terribles, s'amusent avec notre petite planète en déroute, fragile et bleue comme une orange meurtrie par le néant. La chute est pour bientôt, la terreur a saisi les vivants. Et la mort en ricane déjà dans son coin sombre d'apocalypse."
Puis j'ai eu peur, j'ai douté. Et je me suis dit que non, qu'il n'était pas possible, dans cette atmosphère de fête, dans la bruyante et vulgaire insouciance du carnaval, de croire à tant de malheurs, que c'était assurément le contraire qu'il fallait lire :
"Un bon et solide gardien veille sur notre terre. Menacée, blessée déjà peut-être, il saura l'abriter dans sa large main, lui évitera la chute, l'aidera doucement à guérir. Ainsi gardés de tant de monstres que nous avons fait naître, nous poursuivrons, sur cette bulle légère et colorée, notre chemin dans l'univers. Tout au fond du tableau, dans son coin sombre, la mort à tête d'os n'est rien, que le masque dérisoire de nos craintes, qui déjà sort de scène."
Mais maintenant que je suis rentrée, que tout se brouille dans mon esprit, après cette traversée du grand désordre criard et moqueur des Ateliers, je ne sais plus, plus du tout quoi penser.