Pierres vives

Publié le par Carole

Drouauto-1847.jpg
 
Visiter le château de Chambord en plein mois de décembre, c'est oublier l'envolée vers le ciel des clochetons légers, oublier les perspectives immenses sur les chemins géométriques et les canaux miroitants, pour se confronter aux pierres.
Je n'avais jamais remarqué à quel point elles parlent et appellent, dans ce vieux château des courants d'air. C'est, de mur en mur, un incessant bruissement de noms et de dates, inscrits partout, tatoués en graffitis si denses et obstinés qu'ils sont comme une deuxième peau posée toute vivante sur les écailles éteintes de l'ancienne salamandre. 
 
Je les ai salués au passage, un par un, comme des camarades d'aujourd'hui, ces inconnus d'autrefois qui burinèrent un peu d'éternité sur le tuffeau des rois.
 
— Merci, Drouauto de 1841, qui pris soin de poser la virgule pour t'adresser à nous.
 
— Salut, Hillaire Renard de 1694 veillant droit et stoïque comme un soldat romain.
 
Hillaire-Renard---1694.jpg
 
— La paix soit avec toi, Houblon de 1687 resté planté tremblant sur le tuffeau rongé comme tige fanée sur la plaine d'hiver.
 
Houblon-1697.jpg
 
— Et toi, Bigot de 1797, et toi encore, Jules de Trist, adieu, adieu à vous, néoclassiques et raides comme des fauteuils directoires.
 
Bigot---De-trist.jpg
 
— Bien le bonjour, Bourat de 1659, toi le valet, l'humble laborieux qui savais si peu écrire que tu traçais tes chiffres à l'envers - mais si profond.
 
Bourat---1659.jpg
 
Un "graffiteur" du passé vaut-il mieux qu'un "tagueur" d'aujourd'hui ? Est-il plus insensé de vouloir tracer sur la pierre d'un château un nom qui doit mourir que de poser sur l'eau d'un marécage un grand château de pierre fiévreusement couronné de F et de salamandres galopantes ?
Je ne sais pas. Mais je n'ai pas pu m'empêcher en lisant sur les pierres du château tous ces noms d'hommes encore si proches et si vivants, de penser à celui qui refusait d'inscrire dans son "livre de vie "les "bâtisseurs de pierres mortes". Et qui disait : "Je ne bâtis que pierres vives, ce sont hommes."
 
 

 

Publié dans Blois

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D
Bonjour,<br /> Intéressant ce parallèle entre graffiteur du passé et tagueur d'aujourd'hui.
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Q
Je ne sais pas... Je me dis que ces noms gravés sur la pierre attiraient moins l'oeil que nos tags...<br /> <br /> Mais certaines traces d'aujourd'hui sont beaucoup plus jolies. :)
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R
De toute évidence, Carole, je fus extrêmement déçu par Chambord quand je m'y rendis voici plus de 40 ans ! Non par ces patronymes en particulier mais par d'autres "signatures", dans la pierre<br /> également : celles de François Ier, que j'ai trouvées d'un mauvais goût certain, à travers ce déploiement "kitchissime" de F couvrant les sommets de maintes tourelles, ces lys royaux ou ces<br /> salamandres qui "ornent" les façades ...
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C
<br /> <br /> Ah, ces F et ces salamandres... je les aime, moi, car je suis de Blois et je les ai toujours vus courir sur les pierres.<br /> <br /> <br /> <br />
F
Je ne serai pas sévère comme Richard, qui lui, est passionné de hiéroglyphes! donc, perso, je ne ferai que le constat d'un"peuple"qui savait parfois "écrire"!!Les signes de reconnaissances de<br /> l'être humain datent des dessins dans les cavernes et les tags du XXIème siècle sont des preuves irréfutables d'une envie de preuve de l'existence sur terre donc sur pierre!! hihi BISOUS FAN
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R
J'ai hésité ... Et pourquoi finalement ?<br /> Au risque de me faire jeter, je clame haut et fort : NON ! NON ! et encore NON !!!<br /> <br /> Émouvantes, ces traces dans la pierre ??<br /> Émouvants, ces mots d'hommes du passé qui ne respectaient même pas la beauté de ce qu'ils avaient devant eux, voire de ce qu'ils avaient construit ?<br /> <br /> C'est une honte de les avoir gravées, et tout autant d'aujourd'hui accepter leur geste ; quand ce n'est pas de le glorifier ...
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C
<br /> <br /> Alors vous serez très déçu par Chambord, où il y a des milliers, peut-être des dizaines de milliers de ces inscriptions. Et apparemment, de restauration en restauration, on les "respecte" (du<br /> moins pour les plus anciennes), puiisqu'on ne les gratte pas. Une caractéristique de ce château, comme les graffitis des prisonniers de Loches. <br /> <br /> <br /> Sinon, Richard, étant de caractère pacifique et tolérant, je me garderai bien de "jeter" ce commentaire nécessaire. La question du vandalisme se pose pour bien des monuments, même si je crois<br /> qu'à Chambord la tradition donne un autre sens aux inscriptions.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
A
Ces inscriptions me font penser à celle que j'avais vu dans un cachot du château d'Aigues-Mortes et qui m'avait fortement impressionnée.<br /> Marie Durand, prisonnière huguenote en 1730 avec une vingtaine d'autres femmes, y resta 38 ans ne voulant pas abjurer sa foi. Elle inscrit sur une margelle dans la salle commune le beau mot de :<br /> REGISTER en occident, ou RESISTER.
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C
<br /> <br /> En effet, c'était une façon de résister, et jusqu'à aujourd'hui.<br /> <br /> <br /> <br />
G
Un "graffiteur" du passé et un "tagueur" d'aujourd'hui, je ne fais pas de différence car je pense qu'ils n'ont qu'un seul but laisser des traces de leur passage.
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F
beaucoup ont écrit sur les pierres des châteaux, ceux qui les ont construits, ceux qui en étaient prisonniers..
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C
<br /> <br /> Oui, il serait également intéressant de se pencher sur les graffitis des prisonniers. On dit qu'il y en a aussi à Chambord, mais je ne les ai pas vus.<br /> <br /> <br /> <br />
N
Des traces qui défient le temps, et l'histoire. Tagueurs, art de rues, se veulent éphémères. Comme notre civilisation?
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A
Bravo, Carole ; comme d'habitude tu sais dénicher le détail original, et nous en offrir une présentation qui termine en beauté sur une belle méditation...
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M
Voir écrire dans la pierre des noms d'inconnus nous rapproche de ces artistes qui ont su monter les édifices spectaculaires que nous continuons d'admirer et serions incapable de refaire..faute de<br /> moyens aussi.<br /> J'ai vu mon nom inscrit dans la pierre dans une chapelle, qui était ce bâtisseur.. un frère, un cousin de mon arrière arrière grand père, je n'ai pas pu retrouver.<br /> Merci Carol pour cette page d'histoire.
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C
<br /> <br /> Je dois avouer que moi aussi j'ai cherché si je ne trouverais pas sur ces murs au moins un nom de ma famille. Je comprends ton émotion.<br /> <br /> <br /> <br />
M
Rares étaient ceux qui savaient lire et écrire au XVIIe siècle. S'ils gravaient leur nom (et d'aussi belle manière) en ces temps reculés, ce n'étaient pas des "petits". Peut-être, en effet, des<br /> maçons, des tailleurs de pierre ? Ils nous font un signe depuis l'éternité. Mais pourquoi donc, pensons-nous spontanément qu'il s'agit exclusivement d'hommes ?
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C
<br /> <br /> Je crois qu'en l'occurrence c'étaient bien des hommes car ils ont fait ces entailles avec des outils. Les autres inscriptions n'ont pas survécu, même si on en devine des milliers d'autres mais<br /> presque effacées.<br /> <br /> <br /> Je pense même qu'il s'agissait en fait de soldats, car le château a été longtemps habité par des militaires (dont le fameux maréchal dee Saxe).<br /> <br /> <br /> <br />
A
Je suis touchée quand le passé,au détour d'une visite, brusquement, s'invite dans mon présent, devient proche et tangible...
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X
Je me demande aussi si ce "Bourat" ne serait pas "Bonrat" avec un "N" à l'envers comme pour les chiffres.<br /> Et ceux qui laissaient leur nom n'étaient-ils pas des artisans de talent qui signaient ainsi leur ouvrage?
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C
<br /> <br /> Je me suis demandé aussi s'il ne fallait pas lire "Bonrat", mais c'est difficile à d(l)ire. Et ce n'est pas un constructeur du château qui était achevé depuis longtemps au XVIIe siècle.<br /> <br /> <br /> <br />
A
Très émouvantes ces empreintes laissées par les petits, les anonymes. Après tout ils font vivre ces vielles pierres pour nous au même titre que les rois.
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J
Est-ce l'éphémère de notre vie humaine qui nous incite à laisser des traces ? Je crains malgré tout que celles que nous laisserons empoisonnent beaucoup plus la vie des enfants du futur. Amitiés.<br /> Joëlle
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X
Très émouvantes ces traces dans la pierre. On a l'impression que le lointain passé nous prend par la main, qu'on le touche.
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J
Nous devions abattre une vingtaine de vieux hêtres malades plantés sur un talus inaccessible. Ils risquaient vraiment de tomber sur l'usine dont j'entretenais les abords. Chaque tronc était gravé.<br /> Elans amoureux, promesses de fidélité (A Henriette, pour la vie, Marcel 1914) mais aussi positions politiques (Salaud d'Hitler...). Des centaines de scarifications. Les arbres tombèrent, furent mis<br /> en tas. J'avais pris quelques photos argentiques et m'étais promis de dés-écorcer ces souvenirs enfouis dans le bois.Les troncs furent subtilisés avant que j'aie eu le temps de leur en rendre un.<br /> Ils sont sans doute partis en fumée. Je suis triste, parfois.
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J
Dans la pierre mieux que graver son nom au parchemin... Brassens avait raison dans sa chanson, clin d'oeil de jill et merci Carole...
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