On (n')y voit goutte
(capture d'écran)
"In 1927 Professor Parnell heated a sample of pitch and poured it into a glass funnel with a sealed stem. Three years were allowed for the pitch to settle, and in 1930 the sealed stem was cut. From that date on the pitch has slowly dripped out of the funnel."
("The pitch drop experiment", The University of Queensland, Australia, school of mathematics and physics
http://www.smp.uq.edu.au/content/pitch-drop-experiment )
Il y a quelque jours - c'était précisément le 11 juillet 2013 - s'est produit un de ces grands événements infimes qui remuent les pensées comme des mondes : la goutte de poix qui s'était lentement, lentement formée dans un entonnoir obscur de Trinity College de Dublin, est lentement, lentement, tombée. Je vous laisse regarder - il vous faudra, malgré l'accélération des images, quelques gouttes de patience...
Vidéo
Il y avait quatre-vingt-trois ans qu'elle était née, cette goutte de science.
C'était en 1927, en Australie. Un physicien, le professeur Parnell, avait entrepris de démontrer par l'expérience qu'un corps solide en apparence pouvait, en vérité, être un liquide. Et il avait enfermé dans un entonnoir bouché un beau morceau de poix recuite et solide, aussi dur et immobile, apparemment, que la pierre. Trois années plus tard, il avait retiré le fond de son entonnoir, permettant à la poix ainsi concentrée de s'abandonner aux forces rationnelles de la gravité, et à sa vérité cachée de liquide. Et lentement, lentement, des années durant, une goutte s'était formée, puis, lentement, lentement, des années plus tard, cette goutte, selon l'universelle loi des gouttes, était tombée.
L'expérience avait été reprise en 1944 en Irlande, au Trinity College. Enfin l'on avait voulu, pour conclure l'aventure, filmer la naissance de la goutte poisseuse, puis, surtout, sa chute lente, si lente, "la plus lente du monde". Une première tentative avait échoué - ce qu'il faut imputer sans doute à la poisse, ennemie de la science. Ce n'est que cette année, le 11 juillet, qu'une caméra assez patiente a pu saisir enfin l'instant de vérité. Et l'on vient de communiquer au monde la troublante image de cette chute - que j'oserai dire de poids.
Quatre-vingt-trois ans, simplement pour prouver aux hommes que l'apparence est trompeuse. Quatre-vingt-trois ans, pour qu'ils sachent que l'évidence aveugle est noire comme la poix. Qu'on n'y voit goutte dans la vieille caverne. Mais que la goutte obstinée du savoir peut lentement venir à bout de la pierre d'ignorance.
Quatre-vingt-trois ans.
Ce n'est pas trop.