Offrandes

Publié le par Carole

tombe prévert omonville
 
A Omonville-la-Petite où Jacques Prévert s'était installé pour mourir, je suis allée rendre visite à l'autre maison du poète, à la calme demeure qu'il s'était choisie, dans le petit cimetière que veille, en bergère grise, une ancienne chapelle à cape de granit.
Rien d'autre sur la tombe que cette pierre plantée comme un menhir dans un parterre de fleurs, ornée de grandes lettres vertes et sveltes qui ont l'air de chanter en marchant d'un bon pas.
- Ce n'est pas la tombe d'un mort, me suis-je dit, c'est la borne fleurie d'un chemin de vivant.
 
En m'approchant j'ai vu sur la pierre le grand chapeau d'offrandes dont l'ont coiffé jour après jour les pèlerins de poésie - pétales d'hortensias, grands coeurs de marguerites, coquilles de La Hague et galets de la Manche, grains bleuis de nuages, petits cailloux de la vague.
- Ceux qui sont venus là, ai-je pensé, ont bien lu le poète.
 
Des passants pitoyables avaient aussi orné de quelques présents plus menus la tombe voisine et bien moins haute de Janine, la compagne si souvent décriée.
- Ceux-là, ai-je pensé, ajoutant un pétale, l'ont encore bien mieux lu.
Ils n'ont pas oublié l'amour dur et qui dure, la tendresse longtemps gardée. Ils l'ont deviné, sous la terre, le noeud ligneux des vieilles mains qui se joignent et se serrent, quand il fait froid, quand il fait noir, quand il fait détresse et souffrance, quand il fait presque mort. Ils l'ont compris, l'amour "têtu comme une bourrique", qui fait grandir comme les fleurs, comme la mer et comme les falaises, ces paroles humaines qu'on nomme poésie.

Publié dans Fables

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C
"Ni lui sans moi, ni moi sans lui." Tristan et Yseult, Jacques et Janine...
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L
on beau texte mélancolique serre le coeur et pourtant réjouit. A la fois parce qu'il évoque la fin d'une vie et l'éternité d'un amour. Merci aussi pour cette photo, si éloquente. Et si conforme au<br /> poète!
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C
<br /> <br /> Tu dis toujours si bien les choses. Merci, Lorraine.<br /> <br /> <br /> <br />
G
Les fleurs doivent vivre de poésie pour l'éternité
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C
<br /> <br /> Probablement !<br /> <br /> <br /> <br />
A
Une tombe comme une" borne fleurie", une borne qui est une étape sur la route, une borne qui indique le chemin du rêve et de la poésie...
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F
Tout ce parterre de fleurs autour des deux menhirs d'amour, c'est fabuleusement romantique!! J'aime moins les offrandes, mais à chacun son ressenti!! BISOUS FAN
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A
Non, le cimetière ou reposent Prévert et sa compagne n'est pas lugubre, au contraire, mais je pensais à ces cimetières "classiques" froids et allais-je dire sans âme.<br /> C'est pour cela que je me prenais à rêver que chaque tombe ressemble à la personne qu'elle renferme comme celle du poète ici.
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C
<br /> <br /> Cela arrive, mais trop rarement. Je n'ai pas pu m'empêcher de penser qu'il avait fait le choix de mourir dans ce village pour avoir cette tombe "humaine" au petit cimetière du lieu.<br /> <br /> <br /> <br />
N
Deux pierres levées, soumises aux vents, plus vivantes qu'inaltérable granit poli.
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E
stele simple et poétique, émouvante, ainsi que les hommages anonymes. elle aurait été parfaite si elle avait porté comme nom de propriétaire des lieux "jacques et Jeanine", au lieu de souligner une<br /> hiérarchie qu'il aurait sans nul doute condamnée. A moins que ce ne soit Jeanine elle même qui l'ait voulu ainsi
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R
Sobres, ces deux pierres levées avec simplement noms et dates invitant ceux qui passent à les lire aux fins de les graver à jamais dans l'éternité de nos mémoires ...
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A
Une tombe de poète qui lui ressemble bien, recouverte de touchantes offrandes dont on pourrait faire l'inventaire, aussi.<br /> J'aimerais bien qu'à la place de ces lugubres tombeaux, chacun ait une tombe à l'image de ce qu'il était...
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C
<br /> <br /> Pas lugubres, ces tombeaux sans dalle et entièrement fleuris, dans un vieux petit cimetière gardé par sa chapelle. Mais la mort est passée par là, malgré la douceur du lieu.<br /> <br /> <br /> <br />
J
Je ne connaissais pas sa dernière demeure... simple aux côtés de Janine... et merci pour ce poème joint... merci Carole
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J
Désolée Carole: "m'a permis" oui te lire m'a permis de...
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J
Je ne suis jamais allée dans ce cimetière<br /> lire les mots en vert...<br /> mais lire aujourd'hui tes mots Carole<br /> m'ont permis de ressentir à travers tes yeux<br /> l'émotion qui se dégage dans ce pré du sommeil.<br /> Merci Carole.
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L
Ils l'ont bien lu, en effet. La poésie possède, comme ces deux tombes côte à côte, cet étrange goût d'éternité.
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C
<br /> <br /> C'est ce que j'ai pensé, en les admirant d'être si simples.<br /> <br /> <br /> <br />
H
Comme s'il nous disait que tout se continue, avec un air ludique.<br /> <br /> Hélène *
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C
<br /> <br /> Heureuse de ton retour, Hélène, tu me manquais.<br /> <br /> <br /> <br />