Offrandes
A Omonville-la-Petite où Jacques Prévert s'était installé pour mourir, je suis allée rendre visite à l'autre maison du poète, à la calme demeure qu'il s'était choisie, dans le petit cimetière que veille, en bergère grise, une ancienne chapelle à cape de granit.
Rien d'autre sur la tombe que cette pierre plantée comme un menhir dans un parterre de fleurs, ornée de grandes lettres vertes et sveltes qui ont l'air de chanter en marchant d'un bon pas.
- Ce n'est pas la tombe d'un mort, me suis-je dit, c'est la borne fleurie d'un chemin de vivant.
En m'approchant j'ai vu sur la pierre le grand chapeau d'offrandes dont l'ont coiffé jour après jour les pèlerins de poésie - pétales d'hortensias, grands coeurs de marguerites, coquilles de La Hague et galets de la Manche, grains bleuis de nuages, petits cailloux de la vague.
- Ceux qui sont venus là, ai-je pensé, ont bien lu le poète.
Des passants pitoyables avaient aussi orné de quelques présents plus menus la tombe voisine et bien moins haute de Janine, la compagne si souvent décriée.
- Ceux-là, ai-je pensé, ajoutant un pétale, l'ont encore bien mieux lu.
Ils n'ont pas oublié l'amour dur et qui dure, la tendresse longtemps gardée. Ils l'ont deviné, sous la terre, le noeud ligneux des vieilles mains qui se joignent et se serrent, quand il fait froid, quand il fait noir, quand il fait détresse et souffrance, quand il fait presque mort. Ils l'ont compris, l'amour "têtu comme une bourrique", qui fait grandir comme les fleurs, comme la mer et comme les falaises, ces paroles humaines qu'on nomme poésie.