Sens interdit
Quelquefois, on se promène sur une île,
et par hasard, sans savoir,
dans un nid de vieux murs,
on trouve une maison repliée sur ses ailes.
Et justement c'est la maison.
Celle qu'on voyait autrefois dans les rêves
celle qu'on dessinait sur les cahiers d'école,
celle qu'on habitait en secret
mais qu'on cherchait sans fin.
Elle est posée dans un jardin d'Eden.
De vieux palmiers empanachés de plumes vertes
y rêvent d'autres îles,
et le lierre y sinue
parmi de clairs bouquets de roses et de pensées,
d'immortelles et de myosotis,
plantés comme des haies
pour loger les oiseaux que le vent sème.
La grille est forgée de fleurs et peinte en bleu de ciel,
on pourrait la pousser
facilement.
Alors on entrerait.
On prendrait la petite allée de coquillages et d'écume de mer,
on marcherait jusqu'à la porte,
on cognerait prudemment, très doucement,
comme au volet de bois d'un très vieux coeur fragile.
Quelqu'un nous ouvrirait.
quelqu'un qui serait mort depuis longtemps,
une grand-mère aux yeux fanés,
une tante aux cheveux de lin,
ou cet enfant perdu qui nous ressemble tant.
Voilà que déjà on avance,
que l'on pose la main sur la poignée qui grince comme un léger sanglot,
comme un carreau que le vent ferme
dans les greniers du temps.
Et - pourquoi donc ? - on lève un peu la tête,
c'est alors qu'on comprend
que le panneau
Sens interdit
qu'on avait remarqué tout à l'heure, qu'on aurait préféré ne pas voir,
n'a pas été par erreur posé un peu de travers sur le mur du jardin.
Qu'il est bien où il faut, accroché là pour nous,
rien que pour nous
qui passions sans savoir,
qui croyions passer par hasard.
Juste pour nous rappeler
qu'on ne revient jamais
dans la maison d'avant
celle où l'on n'est jamais entré.