Non
Il n'y a pas plus de quelques mois, sur ce grand mur, on pouvait lire l'inscription, jaune, forte et carrée : "Non aux 170 licenciements". Le mot Non éclatait, ferme, puissant, en lettres si brûlantes qu'elles paraissaient dorées, quand le soleil donnait sur le clairon du o. Et puis on a repeint : il fallait, n'est-ce pas, l'effacer, la mémoire fatiguée de la révolte éteinte... à moitié - c'était bien suffisant. Sur le pan de mur mal nettoyé, personne n'est venu poser un autre non, seuls quelques tagueurs sont passés, au hasard de leurs nuits, écrire en lettres embrouillées leur rébellion fugace.
On ne peut plus lire grand chose de clair, maintenant, sur le mur. Wero Moisy ciements trop mort le soutien de. Des mots. Juste des mots posés côte à côte, indifférents les uns aux autres, anneaux brisés d'une chaîne humaine à jamais rompue. Bredouillement de colère retombé en crachats, absurde bavardage de ceux qui pouvaient être rois mais dont l'élan retombé s'est moisi.
On ne dit jamais longtemps non. Ni aux licenciements ni aux guerres ni à la honte ni à l'ennui ni à rien. On ne dit jamais longtemps non, c'est ainsi. Le non est une note grave et dure, ardente, extrêmement difficile à tenir.
Les hommes vont et les harnais blanchissent, le souffle manque, et la résignation pousse partout ses ombres.
On se lasse. Peu à peu vient l'oubli, qui passe pour sagesse. Il paraît qu'on s'adapte, qu'on accepte, qu'on change, qu'on n'a plus la folie de dire non, qu'on devient raisonnable, qu'on préfère dire oui mais. C'est ainsi. Sur ce mur comme partout.
Pourtant, celui qui saurait vraiment, longuement, fortement, dire non saurait enfin dire vraiment oui. A la vie, par exemple. A l'avenir. A l'espoir.