Neptune dans la ville
Vitrine d'un magasin d'antiquités - Paris
Quelquefois, ils reviennent.
Dans les rues de la ville ils se fraient un chemin.
Ils avancent égarés, marchent entre les immeubles, les camions, les vitrines. Sur les trottoirs d'asphalte ils cherchent les rivières, les soleils et les prés, et les nymphes aux yeux d'eau tout éclairés d'échos.
Ils voudraient nous parler des peuples d'animaux roulant comme des vagues dans les forêts vivantes, des ruisseaux qui riaient sous les doigts bleus du vent.
Ils pourraient raconter cette époque bruissante où chaque coquillage était, tout grelottant de perles et tout barbu d'écume, une Aphrodite nue, un Neptune en haillons. Où chaque île abritait de grands bouquets de dieux chantant comme des nids.
Quand les humains sentaient, dans les troncs qu'ils taillaient pour s'en faire des navires, cogner à bec d'oiseau leur propre coeur d'écorce. Quand les rocs médusés s'habillaient en sirènes avec des yeux de femmes et des corps de troupeaux.
Quand frissonnait encore sous les cordes des lyres le ventre des tortues, quand chaque nuit le ciel étendait en pêcheur les grands filets d'étoiles qui attachaient le monde.
Quand tout était en ordre et en métamorphose et qu'ils étaient les dieux.
Mais le bruit les journaux
Les nuages boueux
Sur les trottoirs gluants
Les autos recrachant
La fumée de nos vies
Et les foules hâtives
Au tourniquet des heures
Se pressent et les bousculent
Comme de vieux mendiants.
De leurs yeux un peu tristes
De loin ils nous regardent
Avant de disparaître
Dans un reflet qui passe.