Narcisse

Publié le par Carole

reflet - statue jardin des plantes modifié le 18-12
Nantes - Jardin des Plantes - Statue dite de la "femme qui tient son enfant dans les bras"
 
 
Au Jardin, une statue de femme se mire dans l'eau d'un bassin bordé d'iris.
Elle tient dans ses bras un enfant.
Mais elle a oublié, entièrement oublié cet enfant, qui va tomber peut-être, et se noyer, disparaître, on le pressent, sous la poussée de l'amour tout-puissant qui l'a chassé du coeur fasciné de sa mère. Penchée sur l'eau, dans l'admiration de sa propre beauté, la femme reste là, figée, mère indigne, disparue à tout. Merveilleuse amoureuse passionnée d'elle-même : Narcisse.
 
La femme Narcisse était assise dans le tramway l'autre jour. C'était elle, ma statue, une jeune fille cette fois, qui tenait un miroir de poche. Indifférente à tout, ne voyant personne autour d'elle, saisie par sa propre beauté au miroir, elle rectifiait une mèche, corrigeait le cerne noir de ses yeux, lissait ses joues de poudre tendre, repeignait ses lèvres en rose, avec un soin fascinant, une passion touchante. Cela dura tout le temps de son trajet, dans le tramway cahotant et bondé, jusqu'au terminus. Penchée sur son image, immobile et morte au monde, elle était absorbée dans l'amour d'elle-même avec tant de force et de certitude que la regarder était aussi bouleversant que de rencontrer un couple de vrais amoureux, main dans la main. Car Narcisse s'aime d'un amour pur, absolu, parfait, qui vaut tous les amours.
 
Les Fables sont écrites partout dans la Ville, au Jardin comme sur les sièges durs du tramway. Elles sont si anciennes. Bien décidées à ne jamais disparaître, à renaître toujours, partout, toujours nouvelles, inscrites dans les pierres sculptées, vivantes dans ces pierres vives que sont les hommes. Dans sa grande rumeur bavarde d'humanité, la Ville est la plus remarquable, la plus prodigue des fabulistes. - Un livre inépuisable.

Publié dans Nantes

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F
Beau texte très inspiré.<br /> J'aurais aimé voir le regard de cette jeune fille se détacher du miroir, se lever sur l'entourage, et passer d'un monde à l'autre.<br /> Il est vrai que le mythe de Narcisse prête à débat.<br /> C’est constructeur de s’aimer soi-même. Cela l'est peut-être moins d’aimer son image en dépit de soi.<br /> Fatima
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C
<br /> <br /> Comme tous les mythes, ce mythe de Narcisse est très "plastique" et se prête à bien des sens. Chacun y projette ses doutes ou ses fragiles certitudes, d'autant que ce mythe est un mythe de<br /> l'identité.<br /> <br /> <br /> Quand Narcisse se penche sur lui-même, il se découvre lui-même, et accède à une beauté qui lui échappait, par là il accède à une plénitude d'existence. Mais lorsqu'il se fige sur lui-même il ne<br /> peut plus que disparaître. A quel moment son reflet lui échappe-t-il pour l'attirer vers le néant ? cette question reste pour moi sans réponse.<br /> <br /> <br /> <br />
S
Un reflet féérique!
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C
<br /> <br /> féérique comme ce merveilleux jardin de Nantes.<br /> <br /> <br /> <br />
V
Les femmes "Narcisse" se maquillant produisent chez moi un effet hypnotique, comme si effectivement, leur bel amour propre, était éblouissant. Oui,je suis d'accord avec toi Carole, la ville est<br /> passionnante,<br /> Je continue plus avant,<br /> Valdy
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C
<br /> <br /> Cet effet hypnotique dont tu parles, c'est exactement ce que je voulais traduire, Valdy.<br /> <br /> <br /> Merci.<br /> <br /> <br /> <br />
J
Est-ce vraiment l'amour de soi que tu as vu là ? J'en doute.<br /> Je pencherai plutôt pour l'amour de son image et là...tout change ! Belle journée à toi Carole. Joëlle
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C
<br /> <br /> Tu as lu Valéry, toi aussi... Mais si aimer, c'est aimer une image, nous nous retrouvons d'accord.<br /> <br /> <br /> <br />
Z
c'est pour cela que j'aime la ville!<br /> encore une fois, magnifique texte
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C
<br /> <br /> Merci, Nathalie. Je le sais bien, que tu aimes la ville, et tu la fais "parler" aussi.<br /> <br /> <br /> <br />
A
J'aime cette épithète de "la ville fabuliste". Il est vrai qu'il n'est pas de plus grande conteuse que la ville pour celui ou celle qui a le regard présent, comme le tien Carole, pour notre plus<br /> grand bonheur, tant en mots qu'en photo.
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C
<br /> <br /> Mais c'est la ville qui montre et parle... ensuite, il suffit de regarder et d'entendre.<br /> <br /> <br /> Merci, Adamante.<br /> <br /> <br /> <br />
C
"Ô semblable !... Et pourtant plus parfait que moi-même...". Merci, Carole, pour cet écho vivant à Valéry.
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C
<br /> <br /> Tout de même un peu moins bien que Valéry !<br /> <br /> <br /> Mais d'écho en écho, on fait vivre les vieux mythes, en effet.<br /> <br /> <br /> Car je ne crois pas que tu aies employé au hasard le mot "écho", Catheau...<br /> <br /> <br /> <br />
J
J'aime ta conclusion et ces deux femmes Narcisse décrites... A en oublier tout ! C'est grave docteur... merci Carole ! JB
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C
<br /> <br /> Je ne peux pas te dire si c'est grave, Jill, je suis trop atteinte moi-même...<br /> <br /> <br /> <br />
N
Merci, à lire, j'y été dans ce tram...<br /> Bon mardi, amitié
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C
<br /> <br /> NanyFran, j'adore ton commentaire ! Merci, vraiment.<br /> <br /> <br /> Carole<br /> <br /> <br /> <br />