Mon ombre
Au couchant je suis entrée sans savoir pourquoi dans cette rue très vieille où rôdait l'or du soir. Et voilà que mon ombre soudain m'a échappé. Se déroulant comme un chemin sur les pavés disjoints, grandissant à mes pieds comme un arbre léger, s'allongeant au soleil en lézard bleu, bondissant devant moi en sauterelle sombre, elle tirait ardemment sur sa laisse. Mais pour s'en aller où ? Vraiment je n'aurais su le dire... elle courait devant moi, vers des lointains que j'ignorais. Elle ne cessait de s'allonger, aussi mince bientôt, aussi pointue qu'une fusée, et coiffée de lumière - peut-être sur la terre avait-elle trouvé une route du ciel ?
Je l'ai photographiée sans pouvoir arrêter son élan. Puis j'ai tenté de la suivre, me cognant à chaque pierre.
Le soleil s'est éteint. Elle avait disparu. J'avais cessé d'être deux, j'avais fini de m'étirer plus loin que moi sur les pavés trébuchants, j'avais laissé sur le trottoir mes échasses de Jacob.
Et je me suis sentie à la fois soulagée et un peu triste - comme au sortir d'un rêve.
Car que me voulais-tu, mon ombre, dans ce dernier soleil, où m'aurais-tu conduite, si la nuit ne t'avait soufflée de son éteignoir ?