Mnémosyne (la Mémoire)
Mnémosyne - bibliothèque Jacques Demy - Nantes
"C'est une loi, que tout rentre dans la terre, semblable aux serpents,
Prophétiques [...]. Et il y a
Beaucoup à porter,
C'est sur les épaules comme un chargement de bûches.
Mais les chemins sont mauvais."
(Hölderlin, Mnemosyn, traduction personnelle)
Une moitié du visage emportée, les bras coupés et les jambes liées, tordue et douloureuse et mouvante et mourante comme une flamme, lourde et noire comme les corps souillés couchés au fond des navires négriers, comme l'eau de l'estuaire sous la coque percée des barges de la Terreur, comme les barreaux des prisons des otages et les fusils de leurs bourreaux, secouée déformée dévorée par tous les vents de l'histoire, elle a le regard fixe des serpents qui remontent toujours vers le dedans, au plus caché, pour nous dire l'avenir.
On l'a appelée Mnémosyne. Elle est, dit-on, notre Mémoire.
Derrière elle, un absurde panneau prévient les passants que le site est équipé de caméras vidéo qui enregistrent tout, vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
A demi-décollée sur son socle, une affichette plus absurde encore avertit ceux qui se risqueraient à courir, à s'élancer dans la bibliothèque : "Attention, sol glissant".
Mais toute nue et terrible, accablée transpercée sous son fardeau d'éperons et de lames, devant les caméras et les archives numérisées, sur le sol si glissant de nos vies incertaines, Mnémosyne se tord. Elle danse comme une larme, elle court sur les chemins mauvais, elle appelle et se tait, et sa poitrine est un nid de bêtes, un écheveau de vipères étouffant son corps incertain et nocturne.