Mademoiselle Landois, mademoiselle Benoit

Publié le par Carole

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   Chez un bouquiniste de la ville, j'ai trouvé un petit fascicule probablement très rare et tout à fait précieux par les faits qu'il relate.
   Il est signé F. Soil - l'auteur doit être ce Fernand Soil qui a donné son nom à la petite place des cafés et des boutiques en trompe-l'oeil, derrière la rue du Bois-Tortu-, c'est un dossier simplement dactylographié de 27 pages, daté de 1942. Rédigé avec la sobriété nette des Chroniques et des Journaux de bourgeois des temps passé, il est intitulé "Meurtre du lieutenant-colonel Hotz, Feldkommandant de Nantes, le 20 octobre 1941, Notes de M. le Secrétaire général de la ville".
   On peut y lire ceci, aux pages 9 et 10 relatant les événements du 22 octobre : après l'exécution des premiers otages, et dans l'attente d'une nouvelle exécution, "Mlle LANDOIS demeurant à Nantes, 2, place Sainte-Croix, est venue s'offrir aux autorités allemandes pour être exécutée à la place d'un père de famille." Et, page 12, au jeudi 23 octobre : "Mlle BENOIT, Professeur au Conservatoire, est allée à la Kreiskommandantur se proposer pour être fusillée à la place des otages. Le major Von HASSELBACH l'a remerciée." On apprend un peu plus loin que, contrairement à celle de Mlle LANDOIS, l'offre de Mlle BENOIT a été transmise aux autorités supérieures par un Feldkommandant étrangement nommé Von und Zu BODMAN.
 
    Je ne vous raconterai pas ici la tragédie des Cinquante Otages de Nantes et de Châteaubriant. Les faits sont bien connus, ils appartiennent à l'Histoire. Je veux seulement, quelques instants, sortir de l'ombre où elles sont restées si longtemps cachées les silhouettes pâlies de deux femmes, mortes aujourd'hui probablement.
  Mademoiselle Landois, mademoiselle Benoit, personne ne sait plus qui vous étiez. Même les tueurs d'otages vous ont dédaignées, puisqu'ils ne vous ont pas exécutées, repoussant dans l'oubli votre bel héroïsme.
  Je veux, ici, quelques instants, si peu d'instants, parler de vous dont on ne parle plus. Je veux vous montrer tout d'abord, douces ou hardies, naïvement orgueilleuses, relisant les journaux, vous préparant toute une nuit au devoir, et puis vous levant le matin du grand jour, certaines qu'il le falllait...
  ... Dans les rues silencieuses de la ville terrifiée, vous avez marché solitaires, frissonnantes et rapides. Vous avez hésité cependant, devant le porche sombre de la Kommandantur. Une aube rouge grelottait aux arbres de la place, vous vous êtes avancées toutes pâles. D'une voix résolue qui tremblait bien un peu, vous avez abordé ces soldats jeunes, rudes, et si grands devant vous qui, mitraillette au poing, gardaient la porte noire. Quand vous avez demandé à voir leur chef, ils vous ont regardées avec mépris, et vous avez soutenu leur regard. Vous avez continué votre marche, encadrées d'hommes en armes, jusqu'au bureau du major. Contre son habitude, sans doute, il vous a fait asseoir, surpris par ce grand halo de terreur et de force qui rayonnait sur vos visages minces. Vous avez récité en tremblant votre déclaration, si courte, apprise par coeur comme un grand rôle tragique, tandis qu'un soldat silencieux frappait vos mots à l'encre noire sur une machine aussi cliquetante qu'un convoi. C'était fini. Vous avez relu calmement le papier qu'on vous tendait, puis vous l'avez signé d'une main ferme. Les hommes en armes vous ont raccompagnées jusqu'à la porte noire. Il vous a semblé, dans les couloirs confus, entendre derrière les portes de longs cris étouffés, la peur vous a reprises, vous ne saviez plus avancer. On vous a poussées sur la place, effarées, des gens inquiets vous regardaient derrière les volets qui s'ouvraient lentement. Vous avez regagné votre modeste logement. Et longtemps vous avez attendu, résolues. Quand enfin vous avez su que tout avait été inutile, vous avez pleuré, ou peut-être prié, épuisées.
   Voilà, mademoiselle Landois, mademoiselle Benoit. Je crois que ce fut tout.
   L'Histoire est ainsi faite qu'elle devait effacer vos noms d'humbles héroïnes. Un fonctionnaire méticuleux vous sortit de la nuit pour vous ranger aux lignes obscures d'un mémoire oublié. Et moi, qui vous admire, je ne peux aujourd'hui vous hisser qu'au bref éclat de cette page promise à la disparition.
   C'est face à l'oubli et sur fond de néant que, presque tous, nous devons accomplir notre tâche. Je crois que vous le saviez, mademoiselle Landois, mademoiselle Benoît.
  

Publié dans Nantes

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M
Bonjour Carole,<br /> <br /> Je connaissais l'histoire de l'une des deux. Quelle tristesse! Mais quel courage que celui de ces deux femmes. Un bel hommage que celui de tes mots. C'est très émouvant.<br /> Merci Carole<br /> <br /> j'apprends que tu te remets d'une intervention. Etant très rare sur les blogs ( je suis toujours, et encore, à peindre pour ma prochaine expo) j'avais manqué cette information . Je te souhaite de<br /> bien te remettre de toute cette fatigue, de ces tracas.<br /> <br /> Bise amicale<br /> Martine
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H
Quel beau texte carole. Je lis et relis pour comprendre qu' enfin ces deux courageuses Dames avaient mare de la guerre. Elles avaient mare de l'injustice, des massacres faits par les Allemands.<br /> Alors elles ont préféré mourir en Martyr. Mourir pour leur pays (la France), mourir pour leur peuple. Mourir pour aller dans l'au delà et ne plus souffrir enfin. Merci à toi Carole.
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C
<br /> <br /> Je les ai admirées, et en même temps j'ai essayé d'imaginer le mélange de soulagement et de honte qu'elles ont dû éprouver en voyant leur sacrifice méprisé. Car après tout, elles ont eu la vie<br /> sauve, et les otages, eux, ont bien été exécutés. C'était une époque terrifiante, même pour de grandes âmes.<br /> <br /> <br /> <br />
M
Votre évocation, descriptive et dépourvue de pathos, est poignante.
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M
il me semble avoir déjà lu ton texte et il m'émeut toujours autant, tant cette deuxième guerre mondiale me fascine par ce qu'elle a pu révéler de courage, d'héroïsme et de laideur, d'atrocités!
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F
un bel hommage de rendu
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J
Eh oui... et combien d'autres, bravoure dans un temps qu'on ne peut oublier, merci, jill
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M
Très émue de lire cet instant héroïque de deux demoiselles fort dévouées devant les horreurs qui étaient notre quotidien. Je me souviens ma mère avait été devant la Komandantur avec d'autres pour<br /> tenter de faire entendre raison.. utopie!<br /> Merci Carole de nous avoir fait lire ce beau texte retrouvé.. l'oubli est si facile !<br /> Je suis moins sur le blog moi aussi.. mes yeux me font mal et je suis très fatiguée.. Je te souhaite de pouvoir retrouver tes activités très vite<br /> Amitiés
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M
Bonjour Carole,<br /> <br /> Comment trouver les mots après t'avoir lue. Offrir sa vie ainsi pour sauver celle d'un autre, peut-être un parfait inconnu... Héroïsme tout simple et si grand!<br /> Merci pour ce bel hommage<br /> <br /> Mes pensées t'accompagnent...<br /> Bises<br /> Martine
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C
<br /> <br /> Merci Martine. Je suis rentrée chez moi, ce n'était pas une trop lourde intervention. Mais quelle fatigue tout de même. Je reprendrai mes activités quand j'irai mieux.<br /> <br /> <br /> <br />
A
Merci Carole d'avoir pensé à ces rééditions qui sont les bienvenues.<br /> Bon courage et pensées amicales.
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C
<br /> <br /> Merci Almanitoo. Je suis rentrée chez moi après l'opération, qui semble réussie. Mais la fatigue est grande et je ne peux plus m'occuper du blog.<br /> <br /> <br /> <br />
J
Merci Carole et prompt rétablissement, jill
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R
Hommage remarquable d'une femme sensible vis-à-vis d'autres femmes tout aussi sensibles.<br /> <br /> Tout à la fois par votre texte mais assurément par le document d'origine, l'historien - et tout être humain, en définitive - ne peut qu'être ému ...<br /> <br /> Merci Carole.
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C
Bel hommage à ces femmes magnifiques
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B
Grâce à toi, Mademoiselle Landois et Mademoiselle Benoît ne sont plus des mots oubliés sur un vieux livre, , ces héroïnes sans le savoir sont sorties de l'oubli.
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H
Héros et héroïnes, saints et saintes, les plus grands, les plus grandes, ont leurs noms gravés sur le marbre léger du vent.<br /> <br /> Merci Carole pour ce texte.<br /> <br /> Hélène*
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E
Un texte émouvant et beau, tu as raison de faire leur éloge . Tu as fait une magnifique découverte en trouvant ce petit fascicule.<br /> Tu as une vraie page d'histoire humaine entre tes mains.<br /> Merci de ce beau partage. Combien de gens héroïques sont restés méconnus.<br /> Belle soirée, bises Carole
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M
ces demoiselles symboles du courage et de l'abnégation sont le meilleur de l'homme, c'est-à-dire ce qui ne s'exprime pas, mais que l'on ressent. Dire que notre mode de vie pressé nous laisse<br /> rarement le temps de le remarquer.
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M
La grandeur de cet héroïsme discret me renvoie à ce que je n'aurais pas, sans nul doute, pu faire.
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N
Ces humbles héroïnes grâce à toi nous sont connues. Sans doute beaucoup sont oubliées. On aimerait savoir leur ressembler.
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G
Et combien d.autres encore, héros de la résistance sont restés dans un quasi oubli, ta découverte est dans le droit fil de ton état d.esprit de cherches.
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M
Merci Carole d'avoir pu par tes recherches et tes mots choisis faire sortir de l'ombre ces demoiselles dans laquelle elles s'étaient évanouies. Après de longues décennies tu fais ressortir leur<br /> courage, et c'est très réconfortant de savoir que rien n'est jamais vraiment oublié<br /> Au plaisir de te lire encore.
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A
C'était peut-être aussi de la part de ces demoiselles faire preuve d'une certaine ironie, vouloir remplacer des otages précis mettait les allemands face à l'inanité de leurs actes.<br /> Ce livret qui aurait pu tomber dans l'oubli est bien précieux en tout cas.
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C
<br /> <br /> Je ne sais pas si c'éait de l'ironie, car elles ont risqué leur vie, je crois qu'elles pensaient naïvement que les allemands s'en tiendraient à leur parole. L'histoire des Cinquante otages est de<br /> bout en bout effroyable.<br /> <br /> <br /> <br />
A
Tranquillement installés dans nos vies sans histoires, nous oublions que nous possédons en nous des forces qui nous sont supérieures et qui peuvent, en certaines occasions, nous transcender.<br /> Tous ces héros de l'ombre de la dernière guerre dans notre pays nous le rappellent sans cesse. Il ne faut jamais les oublier.<br /> Merci mademoiselle Landois, mademoiselle Benoît.
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V
Bravo ! Extraordinaire en effet, et c'est un bel éloge que tu leur tisses là.
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P
Les faits ordinaires trahissent les faiblesses de l'Homme. Par contre, les circonstances graves en révèlent toute la grandeur : ténacité, intelligence, humanisme, courage au dela de sa propre vie.<br /> Oui les résistants (individuels ou organisés) sont des personnes magnifiques. Du "haut" de ma petite vie, je ne peux que les admirer. Merci de réveiller notre mémoire saturée de choses mineures.
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C
Des héroïnes silencieuses, humbles soeurs de celle du Silence de la Mer.
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A
C'est bien de rendre cet hommage à ces héroïnes discrètes, faisant preuve d'un courage incroyable, il ne faut pas les oublier, elles et tant d'autres...( il y a peu, j'ai vu à la télé un téléfiim<br /> sur la mort de Guy Mocquet et des autres otages, ça fait froid dans le dos!)
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C
<br /> <br /> Oui, cette histoire des Cinquante Otages est très impressionnante. Si tu en as l'occasion, va visiter le mémorial de la carrière des Fusillés à Châteaubriant.<br /> <br /> <br /> <br />
J
Par delà tout ce que m'inspire ton texte et tes mots choisis ainsi que l'acte de ces dames, je suis certaine d'une chose: maintenant, quand je traverserai le cours des 50 otages je penserai à toi<br /> Carole Chollet et à Mesdemoiselles Benoit et Landois.<br /> il y a des choses qu'on oublie pas<br /> il y a des dames qu'on ne peut pas oublier.
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C
<br /> <br /> Elles n'ont pas été les seules, et j'ai voulu, à travers elles, qu'on se souvienne des humbles héroïsmes - aussi. <br /> <br /> <br /> <br />
J
Je ne connais pas ces dames mais quel courage il faut pour se proposer au peloton d'exécution, merci Carole... pour elles !
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C
<br /> <br /> Oui, et je les admire d'autant plus que je ne serais pas capable d'un tel courage.<br /> <br /> <br /> <br />