Loto, journaux, passant
En descendant du tramway, tout à l'heure, je me suis arrêtée, captivée, devant cette image parfaite que le hasard avait composée devant moi dans la rue - En un autre temps, on aurait parlé d'un tableau de genre, et on aurait aussi bien pu penser à un tableau d'histoire.
Car il y avait là, en couleurs crues que saturait le soleil d'après-midi, en lignes nettes que soulignaient les ombres... tout... vraiment tout.
Un quotidien de référence qui s'inquiétait doctement des grands enjeux géostratégiques et du trouble avenir de ce monde compliqué. Un magazine national prestigieux qui se plaisait à remuer, dans le coeur incertain de ses lecteurs d'élite, l'effroi de la grande secousse populaire vengeresse. L'énorme point d'interrogation vibrant d'angoisse, jeté vers l'avenir dans la lumière brutale. Le petit café ouvrier poursuivant avisé sa vie tranquille, proposant ses sandwiches au choix, et affirmant jaune et vert sa ferveur canari pour le football local. Cet homme pauvre, vieillissant, sorti pour remplir en fumant sa grille de loto, et qui, faute de pouvoir s'offrir un café à la terrasse, restait là, accroupi, concentré à l'extrême sur le choix si important des cases à cocher. Les sommes énormes du Cash et de l'Euro-millions, avec les numéros gagnants si rares qu'on les affichait sur la vitre, inaccessibles derrière le verre Sekurit gorgé d'obscurité. Les ombres, là-haut, qui commençaient à tomber sur l'enseigne. Et ce passant indifférent, qui venait d'en croiser un autre sans le voir, préférant lire de loin les gros titres de la presse.
"Un jour d'avril en France en 2013". Ainsi s'intitulait, je crois, ce tableau que le hasard-peintre avait composé, avec un soin extrême et une précision presque angoissante dans sa simplicité.
Tout, je vous dis, il y avait tout.