Les pieds du général Lamoricière
Nantes - Cathédrale - Cénotaphe du général Lamoricière
Je n'aime pas que nos villes soient encombrées de généraux. Je n'aime pas les voir défiler sur les plaques des rues. Je n'aime pas qu'ils fassent la circulation aux carrefours. Je n'aime pas que tous ces généraux paradant et pétaradant prennent à jamais la place des généreux...
Mais bien sûr, comme les autres et malgré mon avis, cette ville regorge de généraux. Morts, embaumés et sculptés, ils sont partout.
Le Lamoricière de la cathédrale, par exemple, encore un général.
Le tombeur d'Abd-el-Kader, le chouchou de Pie IX, celui-là, un de ces sabre et goupillon qui infectent l'histoire des peuples. On l'aurait tout à fait oublié, s'il ne faisait pas mine de dormir en pleine cathédrale, s'il n'avait pas arrangé là son petit coin de Westminster. Et juste en face du merveilleux tombeau du duc François II et de son épouse Marguerite de Foix sculpté par Michel Colombe. Avec ses noires allégories de charité et de vertu, ses coquilles, ses colonnes et son masque serein, essayant sottement d'imiter l'autre, s'appliquant à faire mieux. Mieux que Michel Colombe, un Lamoricière, allons bon ! Regardez donc ses pieds. Les pieds du général Lamoricière pointent lugubrement, triangulaires comme le sale commerce, sous le drap bien tendu de son épais linceul. Ce ne sont ni les pieds délicats, aériens, de François et de Marguerite, caressés par les anges, foulant déjà, sans peine et sans ostentation, la douce soie des brumes de l'au-delà. Ni les pieds nus glacés aux orteils écartés des rois couchés transis à Saint-Denis, offrant à la méditation leur pitoyable vanité de vieux morts couronnés. Ce sont les pieds d'un cavalier toujours botté, éperonné pour la chasse à l'Arabe. Ce sont les pieds d'un mondain élégant et correct, qui pour rien au monde ne se montrerait nu. Ce sont les pieds d'un bourgeois raisonnable, qui sait bien qu'on n'avance pas loin dans les airs, et que d'ailleurs les anges ne gardent pas les comptes en banque. Ce sont les pieds d'un homme de foi, qui sut faire son chemin sur la terre. De vrais pieds de général Lamoricière. Très laids.
Le Lamoricière de la cathédrale, par exemple, encore un général.
Le tombeur d'Abd-el-Kader, le chouchou de Pie IX, celui-là, un de ces sabre et goupillon qui infectent l'histoire des peuples. On l'aurait tout à fait oublié, s'il ne faisait pas mine de dormir en pleine cathédrale, s'il n'avait pas arrangé là son petit coin de Westminster. Et juste en face du merveilleux tombeau du duc François II et de son épouse Marguerite de Foix sculpté par Michel Colombe. Avec ses noires allégories de charité et de vertu, ses coquilles, ses colonnes et son masque serein, essayant sottement d'imiter l'autre, s'appliquant à faire mieux. Mieux que Michel Colombe, un Lamoricière, allons bon ! Regardez donc ses pieds. Les pieds du général Lamoricière pointent lugubrement, triangulaires comme le sale commerce, sous le drap bien tendu de son épais linceul. Ce ne sont ni les pieds délicats, aériens, de François et de Marguerite, caressés par les anges, foulant déjà, sans peine et sans ostentation, la douce soie des brumes de l'au-delà. Ni les pieds nus glacés aux orteils écartés des rois couchés transis à Saint-Denis, offrant à la méditation leur pitoyable vanité de vieux morts couronnés. Ce sont les pieds d'un cavalier toujours botté, éperonné pour la chasse à l'Arabe. Ce sont les pieds d'un mondain élégant et correct, qui pour rien au monde ne se montrerait nu. Ce sont les pieds d'un bourgeois raisonnable, qui sait bien qu'on n'avance pas loin dans les airs, et que d'ailleurs les anges ne gardent pas les comptes en banque. Ce sont les pieds d'un homme de foi, qui sut faire son chemin sur la terre. De vrais pieds de général Lamoricière. Très laids.