Les paons
J'ai peine à me souvenir, les vitres épaisses et grises de ma mémoire jettent sur ces années une trouble lumière.
C'était quand j'étais tout enfant, j'habitais une école, près d'un château de briques entouré de hauts murs et d'arbres très âgés hochant la tête dans le vent.
C'était peut-être en rêve. C'était il y a très longtemps, il y avait une fois, quand je ne savais pas que le temps existait.
Dans le parc du château, on élevait des paons.
On les voyait vivre et marcher derrière les hautes grilles de fer forgé.
Hôtes tranquilles de fêtes étranges et galantes, ils ouvraient de grands éventails japonais dans les allées de graviers, traversaient les massifs comme des rangs de fleurs fraîches, se penchaient au-dessus de l'étang avec les arbres emplis d'oiseaux, ou bien se tenaient, immobiles et pensifs, semblables aux paravents de soie fatiguée qui ornaient la chambre de ma grand-mère, au coin des haies d'épines que le soleil fanait.
Il ne serait venu à l'idée de personne au village d'élever des paons dans sa basse-cour. Mais il était bon qu'ils soient là, dans le parc du château, inutiles et chatoyants. Leur beauté rayonnait jusqu'à nous, pure et fragile comme celle des cygnes glissant sur l'eau des contes. Les jours où ils n'apparaissaient pas derrière les grilles, le coeur du village semblait battre plus lentement.
Quelquefois, les enfants du gardien apportaient à l'école de longues plumes souples aux barbes irisées.
Ma mère les disposait en éventail dans un vase de cuivre, et elles restaient là, curieusement inclinées, à nous regarder vivre et marcher, comme un grand bouquet d'yeux. Aujourd'hui, il n'y a plus de paons dans le parc du château. Les arbres ont été coupés dans les allées défrichées. Les plumes empoussiérées d'années se sont fanées dans le vase terni, je crois qu'elles ont été jetées. J'ai peine à me souvenir. C'était peut-être en rêve. C'était avant le temps.
Ma mère les disposait en éventail dans un vase de cuivre, et elles restaient là, curieusement inclinées, à nous regarder vivre et marcher, comme un grand bouquet d'yeux. Aujourd'hui, il n'y a plus de paons dans le parc du château. Les arbres ont été coupés dans les allées défrichées. Les plumes empoussiérées d'années se sont fanées dans le vase terni, je crois qu'elles ont été jetées. J'ai peine à me souvenir. C'était peut-être en rêve. C'était avant le temps.