Les grillages du ciel
Le galeriste avait fermé sa boutique pour le soir, tirant sur la vitrine le lourd rideau de grillage qui la protégeait des intrus sans cacher tout à fait à la vue des passants les oeuvres exposées.
Il n'avait pas pensé que ce frais tableau qu'il vendait, délice de nuages et d'aurores fouetté par le pinceau d'un peintre habile, que ce beau ciel léger si doux, apparaîtrait ainsi, à nos regards nocturnes, étrange et carcéral, et carrelé comme une nasse, sous les barreaux de fer.
On ne saurait penser à tout. On ne saurait se mettre à la place de ceux qui sont dehors, lorsque l'on est dedans. On ne saurait regarder à travers le grillage, quand l'horizon s'ouvre clair et vaste. On ne saurait imaginer la nuit, quand le jour pose à la fenêtre de grands rideaux de douceur.
Souvent, depuis notre balcon, dans nos jardins paisibles, nous admirons le ciel. Et tant de choses encore. Tant de choses admirables en effet.
Rarement nous pensons à ceux qui ne peuvent les entrevoir qu'à travers des grilles - de fer, de misère ou de désespoir. Plus rarement encore nous pensons à ce qu'on voit, derrière les grillages et les barbelés, à cette façon étrange qu'aurait le monde, soudain, de rétrécir en petits carreaux aigus, inflexibles et disgracieux, si nous le voyions, nous aussi, depuis notre prison de nuit.