Les fils
Au village, c’est comme ça : les fils électriques ou téléphoniques pendent partout dans les airs, traversent les rues, se croisent, s’emmêlent, et se recroisent encore, s’égarent dans les champs, se promènent sur l’horizon, pour reparaître au flanc des fermes, puis s’en aller encore, très loin, là-bas, on ne sait pas bien où.
Par ces fils entrent les voix du monde et les images du lointain.
Par ces fils le village est relié à l’univers.
Ils se balancent au vent comme les cordes à linge tendues dans les jardins, comme les fils de fer des vergers palissés.
Des arbres grandissent à leurs flancs de ciment ou de bois, et se couvrent de lierre.
Les oiseaux qui s’y posent, confiants, y suspendent parfois, dans des nids barbelés de paille et recousus de mousse, des portées d’oisillons qui s’envolent en chantant.
Quand la tempête les abat de son souffle de bête, on les renoue les uns aux autres, on les retend avec soin sur leurs mâts.
On pourrait bien les enterrer, tous ces fils, mais, on ne sait pas pourquoi, ça fait plaisir, au fond, qu’ils soient là, bien visibles.
Qu’ils soient, au-dessus des maisons et des routes, les signes évidents de la vie battant son pouls rapide, les veines et les vaisseaux irriguant le village comme un petit morceau du corps immense et chaud de l’univers.
Que sur leurs longs cordages se hisse la grand voile de l'invisible espoir.
Et que là-haut se tende le grand filet maillé de ciel qui retiendra sur la terre le village.