Les échafaudages de la cathédrale
On a dressé un nouvel échafaudage contre le mur de la cathédrale. Cela m'a vraiment fait plaisir... Car, voyez-vous, c'est si étrange à dire, peut-être ne me comprendrez-vous pas... : comme tout le monde j'admire le travail des tailleurs de pierre, lorsqu'il apparaît au grand jour, et pourtant... pourtant elle me plaît davantage, la vieille cathédrale, dans ses atours de chantier, soutenue de ces tours de métal, de ces balustrades de bois, de ces voiles de plastique, de ces contreforts d'escaliers et de passerelles dont on avait cru bon, pour quelques mois, de la débarrasser.
Il y a dix ans, quinze ans, cent ans, deux cents ans , cinq cents ans, mille ans peut-être - plus personne ne sait - que la cathédrale est habillée d'échafaudages. Il ne peut pas en être autrement.
On la restaure, on la retape, on la recrée sans fin, bergère usée que la guerre amputa, qu'un incendie défigura et que chaque jour ride de crasse et de mousses. Par pans tout blancs et dentelés, elle montre parfois son charmant minois refait à neuf, et l'on repose l'échafaudage un peu plus loin, car il reste encore bien du travail - dix ans, quinze ans, cent ans, mille ans - personne ne sait plus ce que les journaux avaient annoncé -. Mais j'ai confiance, j'espère, - non, je sais que la cathédrale sera toujours ainsi, en travaux, en chantier, qu'on ne la dépouillera jamais tout à fait de ses échafaudages.
Comme la Sagrada Familia de Gaudi, fidèle à l'espérance placée dans ces plans médiévaux que les maîtres d'oeuvre ne concevaient que pour les transmettre à d'autres maîtres d'oeuvre, c'est ainsi qu'elle doit nous apparaître : en travaux, en devenir, à jamais inachevée, absurde et lente, soutenue de projets et de tiges, légère comme une flamme sous l'armature de fer, forte comme un arbre planté dans la terre, et grimpant vers le ciel sur l'échelle des hommes - semblable à la foi des enfants, à l'élan des artistes. Comme toute oeuvre véritable - work in progress.