Les chaises
Sur l'île Beaulieu j'ai rencontré deux chaises qui paraissaient bien tourmentées.
— Hélas, se plaignait l'une, qu'il est donc difficile de trouver sa place en ce monde. On veut aller de l'avant, on s'élance, et on peine à ne pas s'écrouler...
— D'autant que chacun s'ingénie à vous savonner la planche... Vous avez manqué de prudence, soupirait l'autre, pourquoi vous précipiter ? vous ne pouviez que chuter... Mais vous avez raison, qu'il est donc difficile de trouver sa place en ce monde ! On voudrait rester en arrière, et voilà qu'on se retrouve étouffé et coincé, effondré sous son propre poids.
— Il y aurait bien le juste milieu, l'entre-deux ?
— Ah, ma chère, mais on n'y tiendrait pas... s'asseoir entre deux chaises, c'est toujours si fâcheux. Il faut choisir son camp, pencher d'un côté ou de l'autre... mais qu'il est donc difficile de trouver en ce monde à se placer comme il faut... !
— Et qu'il est donc difficile de la garder, cette place, une fois qu'on l'a enfin trouvée... avec toutes ces agitées, vous savez bien, ces chaises musicales qui vous bousculent au passage... on ne sait plus sur quel pied danser... il faut craindre sans cesse le retour du bâton...
— Qu'il est donc difficile de s'asseoir à son aise...
Et elles ont ainsi continué à se plaindre. C'est qu'elles étaient, ces chaises, du bois dont on fait les humains.