Le Promeneur
Jardin des Plantes - Nantes
En ce premier novembre où nous nous tournons vers les morts en leur offrant des fleurs vivantes, j'ai repensé au Promeneur. C'est l'un des personnages les plus curieux et les moins connus de ce jardin d'Eden qu'on a planté, pour que l'allégorie soit complète, sans doute, tout près d'un cimetière.
Le Promeneur, dans sa vie antérieure, s'appelait Camille Mellinet. Il avait le désagrément d'être le frère du général de la place Mellinet - celui qui fait sans fin la circulation avec son sabre -, et le bonheur d'être l'ami d'Elisa Mercoeur. C'était un éditeur avisé, un auteur délicat, un journaliste habile, un savant historien, un notable des lettres, un gros propriétaire. Après une vie de gloire locale et acharnée, ses concitoyens reconnaissants lui ont élevé ce buste juché sur un immense piédestal pour qu'il l'emporte à jamais sur le commun troupeau de ces mortels couchés tout près de lui.
De pluies de Toussaint en froidures de novembre, il s'est un peu noirci. L'impitoyable nécrophage qu'on nomme Postérité a balayé son nom avec les feuilles mortes. Les fleurs de rhétorique ont séché sur sa tombe, l'orgueil peu à peu l'a quitté. Il a si longtemps regardé le jardin : je crois qu'il n'est plus que sagesse. Près de cet arbre ouvrant ses bras en oiseau-lyre, voyez comme il se redresse pour mieux voir, comme il voudrait humer tous les parfums, comme il rêve de suivre le vol blanc des colombes et l'élan du héron, comme il s'en va déjà sur les chemins qui tournent, parmi les arbres et les bourgeons patients. Qu'importent les hauts murs et qu'importe la mort à celui qui sait vivre ? Il est là, bien là, au milieu des enfants et des canards, en costume clair, un camélia d'automne à la boutonnière, les cheveux dans le vent, sur les pas du bonheur promeneur.
Il est le "carpe diem" indulgent d'ici, celui qui nous dit que toute joie est ici-bas, simple et légère comme une fleur qui passe, mais que si nous l'avons oublié en vivant, nous aurons encore toute la mort pour trouver le Jardin.
Et après tout, qui sait ?