Le souterrain

Publié le par Carole

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Il s’ouvre noir et fascinant dans le jardin du presbytère. On y descend par des marches glissantes. Il faut pousser la grille chargée de rouille et de toiles d’araignée. Et puis descendre encore, vers un sombre boyau.
Sous les voûtes humides on avance avec précaution,  jusqu’à une large porte de bois. On ouvre les lourds battants grinçants, le frou-frou lent d’un vol de chauve-souris ouvre la voie de l’ombre. Et l’on s’engage dans le chemin obscur, celui qui va, par les entrailles humides de la terre, vers l’autre monde… jusqu’à ce grand éboulement, bientôt, qui interdit d’aller plus loin…
 
Dans le souterrain on a trouvé jadis des sarcophages d’os moussus, remplis de cailloux humains délavés par les pluies et couchés dans des linceuls de salpêtre.
Des morts errent encore sous les voûtes en silence. Leurs larmes suintent, en gouttes lentes et amères, aux  parois de tuffeau.
 
Ceux qui l’ont creusé sont les mêmes qui ont fortifié et cuirassé la vieille église de son large donjon. La terreur avait placé dans leurs paumes de paysans exténués la lourde hache et la bêche au manche rude.
En ce temps-là, les vikings remontaient la Loire. Des brigands patrouillaient sur les routes. La famine changeait des hommes en chiens. On vivait entouré de menaces comme gibier au fond des bois, il fallait pour survivre se creuser des terriers avec ses mains griffues. On se réfugiait dans ce trou comme au creux d’une grotte, on dessinait sur les parois la détresse et l’espoir, au charbon résineux des torches. On y cachait ses morts et ses trésors aussi, près du cœur de la terre.
 
Des savants ont expliqué que le souterrain conduisait au prieuré voisin. Peut-être même, de village en village, s’en allait-il jusqu’à Vendôme, là-bas, par de lents méandres de rivière enfouie. Ou beaucoup plus loin encore.
Qui sait, du reste, s’il ne menait pas partout ? Qui n’a rêvé de franchir l’éboulis, de poursuivre l’exploration, pour retracer en bas les allées ténébreuses du Labyrinthe antique et infini ?
 
Aujourd’hui, à demi oublié, le souterrain se tient au-dessous des maisons, des jardins et des champs, comme les racines sous l’arbre. Et la vie se repose confiante sur ses voûtes écroulées.
Ainsi, dans les pays de mines, des villages sont posés sur le vide, comblé de douleurs et de rêves, des boyaux du passé.
 
Angoisses archaïques.
Ossements des vieux morts.
Terreurs des hommes devenus bêtes.
Amour des profondeurs où dorment les secrets.
Désir d’aller plus loin que l’interdit, de s’enfoncer par les méandres au ventre de la terre.
 
Sur tout cela, profondément enfoui, qu’enferme le souterrain, le village lentement s’est posé, tranquille et somnolent, comme un oiseau sur son nid.
 
Parfois, pourtant, un enfant pousse la vieille grille, descend par les marches glissantes, et s’en va, frissonnant, à la rencontre de l’obscur.

Publié dans Le village : Selommes

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