Le pont

Publié le par Carole Chollet-Buisson

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Pont Eric Tabarly - Nantes 
"J'étais un pont..." Franz Kafka
 
Le premier homme qui construisit un pont - le premier qui jeta dans l'eau un poteau, un rocher, un pilier, pour y accrocher une route humaine, de bois, de pierre ou de roseaux tressés - le premier qui marcha dans les airs par-dessus le flot - le premier qui put, d'une rive à l'autre, aller et revenir sur ses jambes d'homme - le premier qui noua ce que le monde avait séparé, il dut penser avoir posé sur la terre quelque chose qui avait la forme exacte, fragile et arquée, le poids exact, lourd et léger à la fois, l'exacte musique, tremblante et ardemment vibrante, de l'espoir.
Il dut se dire tout cela, d'abord. Puis, à force de marcher sur le pont avec des fardeaux et des bêtes, il l'oublia.
C'est ce que j’ai pensé, lorsque j’ai photographié le nouveau pont qu'on construisait face aux tours de Malakoff. Les haubans neufs et blancs se tendaient dans le vent comme les cordes d’une harpe. Des oiseaux se posaient sur ces fils d'acier comme sur les branches d'un arbre bleu. Et les nuages se prenaient, apaisés, dans leurs grands filets de lumière.
D'autres badauds étaient là comme moi, venus admirer non pas l'ouvrage en construction, ainsi qu'ils le croyaient, mais ce fantôme au-dessus de l'eau que leur désir avait fait si net, si nécessaire, si parfaitement dessiné. Les ouvriers eux-mêmes, souvent, s'arrêtaient pour contempler pensivement ce pont inachevé qui prenait son élan si pur encore, si incertain de lui-même, avec des mines d'arc-en-ciel.
 
Et quand il serait achevé, on le recouvrirait d'une bonne couche de bitume, on y jetterait automobiles et camions vrombissants dans d'absurdes embouteillages, et ce ne serait plus rien, qu'un des ponts de la ville.

Publié dans Nantes

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S
Un pont entre l'idéal et la réalité. Un symbole qui nous entraîne dans son usage plutôt que son message: traverser la vie... Bisous Suzâme
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C
<br /> <br /> C'est le plus beau pont de la ville, mais peu à peu la banalité le recouvre... <br /> <br /> <br /> Je crois que le pont est l'un des plus beaux symboles qui soient. Qui s'en souvient ?<br /> <br /> <br /> <br />
N
J'aime ces ponts que tu jettes entre tes images et tes réflexions poétiques...<br /> Belle journée à toi Carole !
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C
<br /> <br /> Merci, nath, pour ce commentaire qui me fait tant plaisir !<br /> <br /> <br /> <br />
Z
ça donne envie d'en voir d'autres...d'images de ce pont...
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N
Ton texte me rappelle l'étonnant roman de Mathias Enard, où il est question de construire un pont sur le Bosphore...<br /> Dans les années 1502-1503, on discute pour la première fois d'un pont à l'actuelle position, à Istanbul, du pont de Galata. Le sultan Bayezid II sollicite un projet de Léonard de Vinci, utilisant<br /> trois principes bien connus de géométrie : l'arc cintré, la courbe parabolique et la clé de voûte, créant un sans précédent pont à tablier unique de 240 mètres de long et 24 mètres de large<br /> au-dessus de la Corne d'Or, qui deviendrait le plus long pont du monde à cette période s'il était construit. Cependant, ce projet ambitieux n'a pas l'approbation du sultan.Michel-Ange, a alors été<br /> invité en 1506 à dessiner un pont pour Istanbul. Michel-Ange refuse cette proposition, et l'idée de construire un pont au-dessus de la Corne d'Or est abandonnée jusqu'au XIXe siècle. Cette histoire<br /> est racontée dans un roman qui imagine la visite du maître sur place: " Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants" de Mathias Enard.<br /> Source: wikipedia.
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L
Le tremblement indicible de l'espoir, l'élan de la création, l'ivresse soudaine de la réussite...et puis rien. Un pont banal. Si juste!...
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P
D'oeuvre d'art architectural, il devient banal objet utilitaire. Il faut avoir suivi les étapes de construction pour conserver l'empreinte de ce qui fut beau et émouvant .<br /> Une belle analyse Carole,un ressenti que je partage notamment pour les charpentes ...<br /> Bonne journée, bisous, Plume .
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M
Une belle méditation sur la construction du pont et son devenir, le beau l'utile et l'invisible car tellement utile qu'on ne se dit même plus que ça n'existait pas avant.
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J
Comme toute nouveauté devient vite ordinaire dés qu'elle est utilisée fréquemment.Nous nous sommes tant habitués à ces merveilles que nous n'en voyons plus la beauté, enfants gâtés que nous sommes<br /> ! Amitiés. Joëlle
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L
Un bon coup d'oeil, et voilà la belle photo !<br /> Loïc
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L
ce qui rend un graphisme intéressant
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J
Du plus rudimentaire au plus sophistiqué que d'eaux ont coulées sous ces ponts... par chez moi il réunit deux pays... merci Carole...
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M
J'ai déjà ressenti cela. Mais toi, tu le dis si bien. Merci Carole.<br /> <br /> Bonne journée<br /> Martine
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