Le manoir de Saint-Pol-Roux
"Nous gagnâmes ce manoir au sommet d'un pays sans arbres.
Sinon les blocs levés sur la lande par l'homme il y a des mille ans en hommage au Soleil
Au bord de la mouvante Harpe dont les notes sont des navires, des voiles, des péris, des ailes, des épaves..." (Saint-Pol-Roux, Offrande à Divine)
"Hélas dans sa ville natale je n'ai guère trouvé de libraires acceptant de vendre ses ouvrages. Seule la librairie L'Odeur du temps a acheté quelques exemplaires !" (René Rougerie, lettre à un lecteur inconnu trouvée dans un volume, acheté d'occasion, des Ombres tutélaires.)
Ce petit tas de rouille, cet objet de métal informe, depuis longtemps tombé en poussière et revenu à la terre, je l'ai ramassé, il y a quelques années, dans les décombres de la demeure de Saint-Pol Roux, près de la plage de Pen Hat. Je crois qu'il s'agit d'un de ces longs clous qui servent à fixer les charpentes. J'aime, du moins, à le croire. Ainsi, moi, je posséderais - non, je possède - les débris chaque jour un peu plus mangés d'humidité, de l'un des gros clous de fer qui devaient protéger de l'assaut des tempêtes le manoir du poète.
Ce clou presque redevenu minerai ressemble tant à une clé. La clé des songes, toujours rouillée, toujours brisée, qui ouvre pourtant bien des portes - celles qui n'existent plus, ou pas encore.
J'ai une tendresse particulière pour Saint-Pol Roux, poète presque entièrement oublié qui ne se rencontre plus guère en effet qu'à L'Odeur du temps, que les surréalistes un jour sortirent brièvement de l'ombre, et que l'éditeur Rougerie, plus tard, tenta vainement de ressusciter dans de beaux volumes de papier bouffant, dont les couvertures blanches à titres rouges protégées d'un doux papier de soie s'accordent parfaitement à cette oeuvre fervente.
Je l'aime pour ses vers, je l'aime aussi pour cette tragédie si purement dessinée et si lourde de sens dans laquelle il figea son destin de poète.
Après la mort de son fils, englouti par les tranchées de 14, Saint-Pol Roux - qui s'appelait Paul Roux, mais avait pris depuis longtemps pour prénom de plume ce nom de village breton - se retira dans le manoir qu'il avait fait construire, quelques années plus tôt, face à la mer, près du grand champ de menhirs de Lagatjar.
C'était un donjon de granit, de silence et de méditation, où il vivait splendidement, en baron de Sigognac, entre ses huit tourelles, dans la plus âpre, dans la plus digne pauvreté, pour sa fille Divine, et pour sa poésie.
Quand revint la guerre - la deuxième -, le poète effrayé par les hommes s'enferma dans sa tour, avec Divine.
Mais la réalité, sordide et atroce, rattrape toujours ceux qui ne l'affrontent pas de face. Le manoir était isolé, et les chars allemands avançaient. Un jour ils furent tout près, à Camaret. Et un soir...
Un soir un soldat allemand se présenta à la porte, revolver au poing, viola la servante qui lui ouvrait, se jeta sur Divine qui se portait à son secours, et la blessa d'un coup de revolver. Par la suite, alors que le père soignait la fille à l'hôpital de Brest, tous ses biens furent pillés dans le manoir abandonné, et tous ses manuscrits détruits. Désespéré, le vieux poète s'alita à son tour, et mourut bientôt. A la fin de la guerre, les bombardements alliés eurent raison de ce qui restait du manoir. Il n'y a plus là-bas, face à la mer, que des ruines à arpenter, aussi désertes et mélancoliques que les volumes du poète sur les étagères des bibliothèques publiques où personne n'en a coupé les pages. Triste histoire, et terrible fable que celle de ce poète qui posa sa demeure, comme un nid d'astres, aux lisières de l'infini, mais fut détruit par la violence humaine, avant d'être balayé par l'oubli. Et tout cela, je crois qu'il le savait, depuis le début, depuis l'instant où il posa la première pierre de son oeuvre. Et je pense qu'il savait aussi qu'un jour, quelqu'un ramasserait dans les ruines le clou tombé de la charpente depuis longtemps disparue de son palais de mots, pour bâtir à son tour un édifice fragile, frangé de toute l'écume des chimères, comme le sable mêlé de décombres de la plage de Pen Hat. Pour prolonger : un lien vers un choix d'oeuvres de Saint-Pol-Roux : http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/saintpolroux/saintpolrouxpoemes.html
Un soir un soldat allemand se présenta à la porte, revolver au poing, viola la servante qui lui ouvrait, se jeta sur Divine qui se portait à son secours, et la blessa d'un coup de revolver. Par la suite, alors que le père soignait la fille à l'hôpital de Brest, tous ses biens furent pillés dans le manoir abandonné, et tous ses manuscrits détruits. Désespéré, le vieux poète s'alita à son tour, et mourut bientôt. A la fin de la guerre, les bombardements alliés eurent raison de ce qui restait du manoir. Il n'y a plus là-bas, face à la mer, que des ruines à arpenter, aussi désertes et mélancoliques que les volumes du poète sur les étagères des bibliothèques publiques où personne n'en a coupé les pages. Triste histoire, et terrible fable que celle de ce poète qui posa sa demeure, comme un nid d'astres, aux lisières de l'infini, mais fut détruit par la violence humaine, avant d'être balayé par l'oubli. Et tout cela, je crois qu'il le savait, depuis le début, depuis l'instant où il posa la première pierre de son oeuvre. Et je pense qu'il savait aussi qu'un jour, quelqu'un ramasserait dans les ruines le clou tombé de la charpente depuis longtemps disparue de son palais de mots, pour bâtir à son tour un édifice fragile, frangé de toute l'écume des chimères, comme le sable mêlé de décombres de la plage de Pen Hat. Pour prolonger : un lien vers un choix d'oeuvres de Saint-Pol-Roux : http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/saintpolroux/saintpolrouxpoemes.html