Les funambules
"J'ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d'or d'étoile à étoile, et je danse. " (Arthur Rimbaud)
Devant moi, un clochard aux pieds nus titubait dans la foule. C'était rue Crébillon, en descendant la pente. J'ai levé les yeux pour ne plus voir ce malheureux, déjà tombé à terre, et j'ai aperçu ses chaussures. Elles pendaient sur le fil comme guenilles noires oubliées sous la pluie, guirlandes de misère aux branches du crachin.
On en voit beaucoup, en ce moment, à Nantes, de ces chaussures pendues aux fils qui traversent les rues.
La nuit, je crois, errent au ciel chagrin d'ici d'étranges funambules.
Ils grimpent en rêve sur les murs et les toits, abandonnent là-haut leurs semelles terrestres, encore toutes crottées de la boue des jours ternes. Puis ils s'en vont, dans l'ombre où grandissent les songes, visiter dans l'ivresse le Passage des astres et les panoramas des vieilles lunes, aux angles miroitants des couloirs de la nuit.
Chaque matin de pluie les voit s'en revenir, vagabonds déchaussés maladroits qui glissent dans la boue. Tandis que là-haut, sous le ciel frissonnant déshabillé de ses étoiles, dans le vent froid et nu, leurs souliers pendus se balancent - noirs croquenots crochetés à l'hameçon des rois pêcheurs usés, vieilles baskets de sept lieues, chaussons de Nijnsky jetés au vent parmi les cendres.
Car nos corps sont d'os lourds, et nos vies sont de rouille, en cet âge de fer. Nous retombons toujours au sol, un peu plus lourds seulement d'avoir rêvé que nous volions.