Le fou
Nantes - Château des ducs
Petit Triboulet rêveur, posé dans la lumière sur la grande ombre en forme de croix qui s'allonge sur le toit, au-dessus du chemin de ronde, que peut-il bien penser, là-haut ?
Peut-être simplement qu'il suffit d'un peu de soleil pour faire surgir des vérités troublantes, par exemple la proximité de l'angoisse et du rire, de la mort et de la frénésie, de la méditation et de la dérision, des ombres lourdes et des fines dentelles de pierre...
Nous le savons et l'acceptons nonchalamment, fous que nous sommes. A moins que nous n'endossions l'habit de fou justement parce que, au grand soleil de la lucidité, l'ombre qui s'étend derrière nous se fait si haute, si menaçante.
Mais que j'en ai eu, du mal, à le distinguer, ce fou, dans la végétation de pierre qui court au coin de chacun des hauts murs. Il m'a fallu, pour le saisir au zoom, me plaquer contre le rempart, en bas, me pencher vers le vide, m'écorcher sur l'angle dur d'un créneau.
Le passant qui parcourt le chemin de ronde, au château, ne remarque pas tout d'abord les sculptures extraordinaires qui ornent les sommets, et, s'il a enfin reconnu leur présence, il ne peut pas, de ses seuls yeux, les distinguer clairement. Il lui faut lever la tête et se tordre le cou, puis se servir, comme d'un télescope, du zoom de l'appareil-photo : alors seulement se découvre un vaste recueil de fables et d'allégories, inscrit tout en haut des vieux murs, tout près du ciel.
Ceux qui ont posé là leurs chefs-d'oeuvre, si longtemps condamnés à rester invisibles, et qui le seraient restés sans l'invention d'appareils d'optique compliqués dont ils ne pouvaient avoir l'idée, en ont pourtant réfléchi et ciselé chaque détail à la perfection. Sachant bien qu'en art - autre folie - c'est d'abord pour le Spectateur inconnu - ou pour soi-même - que l'on travaille.