Le fil
Comme elle tournait, la petite épeire, mince bobine, dans la toile qu'elle s'employait à bâtir, comme elle tournoyait, fuseau gracile. Et le fil né de rien, jailli du seul vertige de son corps minuscule, se tirait, se tendait, se nouait, et dessinait sa trame, et devenait une toile, vaste et belle, et désormais si nécessaire, sur le vide qu'elle emplissait de toute sa structure délicate.
Je l'ai regardée un moment, fascinée.
Car l'araignée est semblable à l'artiste qui arrache à sa seule existence la matière de son oeuvre, et, tournant sans fin sur lui-même, tirant sur le fil de son être, construit son univers comme une toile, en un magnifique et absurde équilibre, que seule la conviction vertigineuse de son effort soutient au-dessus du néant.
Et dans la toile viendra se prendre, comme un insecte assoiffé, notre espoir de trouver le sens et la beauté, attiré là par cette ardeur que l'esprit d'un autre a mise à les faire naître de son seul désir, à les cracher de sa seule substance, à les filer comme on file les rêves, pour qu'ils forment enfin un monde, un monde en ordre, un monde parfait, posé comme un grand pont tremblant par-dessus le néant.
Araignée, je pensais cela, et tu tournais toujours sur toi-même, folle bobine, incapable de t'arrêter, aussi prisonnière de ce fil que tu tirais de ton être que ceux qui bientôt viendraient s'y prendre.