Cours Cambronne

Publié le par Carole

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Cours Cambronne on a toujours l'impression que quelque chose pourrait arriver - une fanfare va s'installer, on va monter des tréteaux pour un théâtre de marionnettes, planter un chapiteau de cirque. Des gens vont venir des faubourgs et jouer à la pétanque. Jean Jacques de Nantes va épouser Marie Lucienne. Ou peut-être que la garde qui meurt et ne se rend pas du général Cambronne va se ranger en ordre de bataille, et nous montrer.

Mais rien n'arrive jamais cours Cambronne, même les enfants n'y jouent que parcimonieusement. Quelques rares promeneurs. Quelques dames avec poussettes. Quelques habitants parfois glissant furtivement vers des portes qu'on ne voit jamais ni s'ouvrir ni se fermer. Des arbres plantés au carré et taillés au carré. Des bordures de gazon sans trèfle ni luzerne. Des pigeons étiques et muets. Des chiens timides tenus en laisse, qui évitent de se soulager sur le sable clair et râtissé. Et partout, là-haut, surveillant, des fenêtres closes, silencieuses. Des balcons grillagés et déserts, des façades mornes alignées au cordeau. Une élégance de très bon goût, sans commerces, sans défauts, sans besoins, sans déchets. Parfaite.

Cours Cambronne on ne fait que passer, repoussé vers l'extérieur par on ne sait quel sentiment qu'on a de n'être pas à sa place, de déranger. Seul s'obstine le lent tournoiement de l'ombre, autour du général et de ses aigles, sur le sable gris.

Entre les hautes grilles qui ferment à chaque bout ce triste Palais Royal, ce qu'on a si soigneusement enclos, c'est l'ennui. Une sorte d'ennui très précise, distillée là goutte à goutte et subtile comme une essence rare : l'ennui racé et distingué des beaux quartiers dans les villes de province, l'ennui porté comme une décoration, l'ennui qu'éprouvent les gens bien, le dimanche à midi, au retour de la messe.

Et c'est si pur, si nettement décanté, que cela en devient presque insupportablement beau. Enivrant.

Jacques Vaché est mort à quelques mètres, de l'opium qu'il avait pris et peut-être plus encore d'avoir abusé de cet ennui-là.

Publié dans Nantes

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