Le ciel
Depuis longtemps, en ville, je ne savais plus grand chose du ciel. Parfois j'en saisissais du regard quelques pans déchirés flottant entre de hauts immeubles, ou bien je tendais les mains vers des flaques de bleu éparses au reflet des vitrines, j'enjambais des bouts de nuages oubliés dans les caniveaux, j'égrenais des poussières d’étoiles dans la lumière fuyante des réverbères et des enseignes.
Dans ce village de Beauce rudement déboisé, au milieu des champs plats chichement bordés de maigres haies, j'ai retrouvé le ciel.
Comme à chaque fois, il m'a été tout entier donné.
Grand chapiteau des lumières et des ombres, théâtre des levants, des couchants, des pluies, des brouillards, des orages, immenses plafonds à caissons suspendus des nuages que le vent forme, déforme, et toujours emporte, et toujours ramène, palais des champs baignés d'eau verte : j'ai vécu là comme en moi-même.
J'ai marché dans les herbes où mûrit la couleur.
J'ai été, contre l'azur au ventre gris, le caillou clair, la terre roussie des chemins qui vont loin.
J'ai vogué comme un banc de nuages vers cette nacre au bord de tout, ce lointain emperlé de brume où toutes choses se confondent.
Sur les chemins de mon village, le ciel est la forme visible du monde : il suffit de marcher, et la sagesse emplit les yeux qui savent, la vérité grandit dans le corps qui va.
L’horizon sans limites s'enroule au bout de chaque champ comme au bord de nos doigts. En tournant sur nous-mêmes, nous pourrions devenir des astres, semblables aux grands tournesols d’août qui vont lentement sur leur tige.
Une moitié de terre brune, de pierres blanches, de vagues vertes ou jaunes - une moitié de ciel, de soleil, de nuées, d’étoiles et de lune : il n'est rien qui ne tienne dans ce double hémisphère.