Le château
Quand j’étais enfant, c’était un tas de pierres où l’herbe poussait dru. On y menait paître les bêtes, et les poules y couraient. La Houzée toute verte se coulait dans ses ruines comme une couleuvre longue.
On l’appelait alors le château de Puitfonds. Il était plein de lézards et de salamandres, et de mystères profonds que ruminaient les vaches.
Plus tard on a reconstruit une tour et un bout de donjon avec les pierres moussues. On a planté des saules et posé tout autour un long filet de barbelé pour éloigner les bêtes. Entre ses rives bien fauchées fleuries de grands bouquets de marguerites, la Houzée a reflété très pure sa silhouette de conte. On y a organisé des fêtes comme au château du bois dormant, et on s’est mis à l’appeler le château de Pointfonds.
Il paraît que c’était écrit ainsi dans les livres qui conservent intacte la mémoire des vieux noms.
Je ne sais pas. Moi, je sais seulement qu’au profond du village, au confluent de tous les ruisseaux qui tissent ensemble le cours tranquille de la douce Houzée, le vieux château est comme un puits plein d’échos. Qu'il est comme un puits de lumière où l’aurore vient se prendre. Qu' il est comme le jour qui point dans la soie des matins. Qu'il est comme le point nodal où le village se coud au monde.
Il faut, pour qu’un village rêve, une rivière aux longs yeux d’herbe, un vieux château dormant entre des prés à vaches, une petite église, et des noms incertains, miroitant comme des reflets sur les lieux du passé.