Le bagad de la place Taksim
capture d'écran (http://www.youtube.com/watch?v=sXDLSB0LXfs)
Tout à l'heure, en regardant une image de la place Taksim d'Istanbul désormais "nettoyée", triste et cernée de policiers, j'ai repensé à ce bagad... le bagad de la place Taksim...
C'était, la semaine dernière dans le journal local, une de ces nouvelles auxquelles on n'accorde pas d'importance, ou dont on s'amuse un instant : le bagad Penhars, venu de Quimper, a défilé place Taksim, parmi les jeunes manifestants qui se sont mis à danser le "zeybek"et à battre des mains, au son des cornemuses et des bombardes bretonnes.
L'orchestre avait été invité à un festival au début du mois de juin, et, bien sûr, en raison des événements, les représentations avaient été annulées. Mais les musiciens du bagad n'avaient pas renoncé, ils avaient décidé de jouer malgré tout, ils avaient défilé dans les rues de la ville, puis ils étaient venus place Taksim. Et là, cette vieille musique des villages bretons et cette ardente jeunesse turque, accordées par l'audace et cet esprit de fête qui fondera toujours le bonheur des peuples, ont avancé ensemble, pour un moment irréel et parfait. Des binious au "zeybeck", de l'obstination des Bretons à l'indignation des Turcs, de la fête à la révolte, des vieux villages d'ici à la jeune liberté de là-bas, il n'y avait qu'un pas de danse : c'était d'une beauté, d'une évidence saisissantes.
Comme si la musique, quelle qu'elle soit, avait le pouvoir de conduire simultanément à l'espoir et à la mémoire, d'accompagner chaque homme sur son chemin, et de mener l'humanité vers ce pays natal, où tous chemins convergent.
Plus tard, j'ai vu qu'un pianiste allemand avait installé place Taksim son piano à queue, et avait joué douze heures d'affilée, "dans un souci d'apaisement", selon ses déclarations à la presse.
Je me suis souvenue de Rostropovitch interprétant Bach devant le mur de Berlin s'écroulant.
Je me suis souvenue du violoncelliste de Sarajevo, qui joua durant tout le siège, en mémoire de tous les morts et pour l'espérance de tous les vivants.
Et je me suis dit que notre joyeux bagad quimpérois, avec ses binious, ses bombardes et ses tambours, n'avait pas fait moins qu'eux tous.