La roue
Rien de plus étrange, rien de plus nostalgique que ces sites industriels oubliés qu'on découvre parfois, rouillant dans un grand champ d'orties, au hasard d'une promenade.
On entre par une porte échevelée de lierre, on passe la tête à travers le rideau de ronces d'une fenêtre aux yeux caves. Dans leur suaire de décombres reposent des machines aussi mortes et rompues que squelettes à l'ossuaire. On se demande ce qu'on fabriquait là, avant, dans le vacarme des choses et la sueur des hommes.
Puis dans un coin on aperçoit la roue brisée. Et on se dit qu'au fond, là comme ailleurs, on travaillait surtout à faire aller la roue du temps, celle qui tourne si vite qu'il faut sans cesse la remplacer par une roue plus neuve, qui tournera plus vite, sur elle-même sur elle-même, nous broyant au passage - comme petits cailloux dans la cendre des jours.