La queue pour le loto
J'ai pris la photo en passant, le soleil dans les yeux, sans même pouvoir viser. Bien sûr, elle est ratée, et pourtant tout y est : les voitures hâtivement garées sur le trottoir, les costumes un peu fripés du vendredi soir, les silhouettes patientes cernées de hauts murs sombres, la poubelle, et le grand ciel brûlé d'un soir de juin brûlant. La queue pour le loto.
C'est qu'on était vendredi 13, et qu'il y avait un gros tirage à espérer. C'est qu'il était presque sept heures, et qu'il fallait se hâter de jouer. Tenter de battre ou de rebattre les cartes du destin mal distribuées par des croupiers obtus. Se dépêcher d'aller changer pour les bons numéros la monnaie sans valeur d'une vie de numéro.
Loto. Un impôt sur l'espoir. Le seul dont on s'acquitte sans sommations.
Faire payer les rêveurs, les rameurs, les chômeurs pour le lendemain qui déchantera, au grand soir du tirage : il suffisait d'y penser.
On se presse à la porte des châteaux en Espagne. Qu'importe si le ticket n'est valable que jusqu'à ce rempart où on lit sans comprendre : "Laissez toute espérance".
J'ai bien l'impression que, d'année de crise en budget d'austérité, elles sont de plus en plus longues, ces queues pour le loto.
Comme la fin des mois.