La laisse de mer
Saint-Pierre-Quiberon
On appelle laisse de mer cette frange d'algues, de branches mortes et de coquillages que la mer oublie sur les plages, à marée basse.
Ainsi, parfois, aux rives de la mémoire, se déposent les souvenirs, épars sur le sable des heures comme des algues encore vivantes que nous aurait laissées l'enfance.
Je l'avais si longtemps attendue...
J'avais écouté son souffle dans le coquillage verni qui ornait le buffet de mes grands-parents, à Guéret.Peu à peu j'avais appris à reconnaître, très loin au fond de moi, sa voix qui tremblait de promesses imprononcées et d'horizons fuyants, de navires à proues d'espérance, d'îlots fragiles et d'écueils désirés.
Et puis c'était arrivé : nous étions partis de Guéret un matin avant l'aube, et nous étions montés dans un train tiré par une locomotive à vapeur toute piaffante. - Tchou, tchououou...! s'était-elle exclamée, puis elle avait bondi, de gare en gare, d'aiguillage en aiguillage, de correspondance en correspondance, sans erreur, jusqu'à l'océan lointain. Le soir, à Vannes, il faisait nuit et il pleuvait, on était venu nous chercher en voiture, je m'étais endormie dans mes vêtements tachés de suie, bercée -Tchououou...tchou...- par l'ombre bondissante de la loco autant que par les cahots de la petite automobile qui nous avait déposés, après bien des virages, à Saint-Pierre-Quiberon.
Le lendemain matin, il y avait eu ce soleil ruisselant de sel, et ce ciel d'un bleu léger, frémissant d'oiseaux criards. De grands draps blancs s'enflaient de vent et de lumière, luttant comme des pirates liés aux mâts de fer plantés dans les galets du jardin.
Pendant le petit déjeuner, au fond du transistor grésillant de mon grand-père, qui contenait - mystère que j'acceptais sans chercher à l'expliquer - tout un orchestre avec la batterie, le micro et un costume d'argent pour danser -, Claude François avait chanté avec une conviction que je partage encore "Mais quand, le matin, je vois le soleil, le matin...", puis nous avions longtemps marché sur un chemin brillant de mica, à travers des herbes sèches semées d'immortelles et de chardons.
Tout au bout du chemin, le sable était hérissé d'algues, de coquillages, de brindilles éparses, et de rochers pensifs.
Elle a entouré mes pieds de ses doigts frangés d'écume, de coquilles et de ciels renversés. J'ai caressé de mes lèvres l'arc-en-ciel de ses lèvres, sur mon corps mince j'ai serré son grand corps parcouru d'eau, de sable et de soleil, j'ai avancé dans la lumière. Et c'était bon comme quand on rentre chez soi, après une longue absence, et que la lampe rallumée fait dans la nuit son doux nid de jour clair, et qu'enfin on se reconnaît.