La matière
Je voulais vous parler aujourd'hui de très peu de chose : de la matière.
Pas de la matière des physiciens. Qu'en dirais-je ? Cette matière-là s'exprime en formules et en équations, on en discourt savamment, sérieusement.
Je voulais vous parler seulement de la matière des photographes, des peintres, des écrivains... de cette matière infime et sans force qui échappe aux calculs, et n'a pas d'autre loi que les caprices de ses métamorphoses.
C'est, au fond d'on ne sait quel dépôt formé par les années, déjà cristallisé, un je ne sais quoi d'informe et d'inconnu, dont on ne choisit ni la couleur ni le goût, dans lequel il faut tremper et tourner un doigt d'enfant ou de sorcière. Qu'il faut ensuite façonner lentement, à son image d'homme, avec l'argile du premier jour. Puis gonfler et lisser pour le faire exister hors de soi, comme le corps maigre d'un oiseau d'hiver réfugié sous ses plumes. Enfin qu'il faut planter, faire lever patiemment, petit grain de promesse jeté dans l'univers comme tant d'arbres semés par le hasard, qui parfois meurent, et parfois s'encordent à la terre et s'enracinent au ciel.
La matière - il faut la planter comme un mât, où qu'on soit, et quand bien même on n'aurait d'autre horizon qu'un carré d'herbe grise, et quand bien même le vent soufflerait en tempête, pour pouvoir s'installer en vigie tout là-haut et voir tout ce que les passants distraits n'ont pas vu.
La matière - elle est souvent si laide, si sale dans sa gangue de dégoût, qu'il faut pour en distinguer l'éclat s'arracher des yeux au fer les taies de l'accoutumance et de l'indifférence, en orpailleur avide et cruel. La matière - elle est souvent si usée, si passée, si recouverte de vieilles ombres et de vieux lichens, qu'il faut, pour en découvrir le vivant secret, la longue patience des pics qui frappent sans répit à toutes les portes des vieux troncs. La matière - elle est si bien cachée, et si discrète, si honteuse de ne pas exister complètement encore, qu'on pourrait ne pas s'arrêter quand on passe près d'elle. La matière - c'est ce petit panneau fragile et presque tombé, au bord de la longue route, simple direction, et dont il faudra bientôt pouvoir se passer pour aller, seul, là où l'on doit aller.
La matière - elle est souvent si laide, si sale dans sa gangue de dégoût, qu'il faut pour en distinguer l'éclat s'arracher des yeux au fer les taies de l'accoutumance et de l'indifférence, en orpailleur avide et cruel. La matière - elle est souvent si usée, si passée, si recouverte de vieilles ombres et de vieux lichens, qu'il faut, pour en découvrir le vivant secret, la longue patience des pics qui frappent sans répit à toutes les portes des vieux troncs. La matière - elle est si bien cachée, et si discrète, si honteuse de ne pas exister complètement encore, qu'on pourrait ne pas s'arrêter quand on passe près d'elle. La matière - c'est ce petit panneau fragile et presque tombé, au bord de la longue route, simple direction, et dont il faudra bientôt pouvoir se passer pour aller, seul, là où l'on doit aller.