La machine à écrire
Un jour, c'est arrivé. Cela devait arriver. L'auteur a cessé de lutter à mains nues sur la page, pour se colleter enfin à la machine.
Le texte a cessé d'être écrit pour être fabriqué.
Le manuscrit vivant est devenu l'impersonnel tapuscrit reproductible à l'infini.
La phrase est devenue cette mélodie imprimée qu'il fallait harmoniser avec la basse d'un clavier cliquetant et les grands chocs furieux d'un chariot soprano.
Un jour, ils ont été trois : l'écrivain, la page, et la machine.
Rien n'avait changé.
Et pourtant tout avait changé.
L'écrivain ne caressait plus la muse en retaillant sa plume comme un Pierrot de lune.
La machine à écrire l'avait assis à son clavier, posté là comme un autre, dans l'immense atelier de la modernité.
Il ne pourrait plus jamais être un dieu,
celui qui peinait et tapait sur les touches à ressorts.
Et, au fond, cela lui était bien égal.
Peut-être même, au fond,
qu'il s'était mis à l'aimer,
sa muse mécanique,
sa mignonne Remington.