La Joconde en vacances

Publié le par Carole

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    La caravane était garée dans la cour, l'air de rien... Une vieille caravane, fraîchement repeinte. Et la Joconde à bord...
    C'est sûr, si la Joconde vivait aujourd'hui, elle partirait en vacances. En caravane en camping-car en yacht en Ferrari. Elle ferait du tourisme, elle irait à Rome à Paris à Djerba. Elle achèterait des cartes postales et des dépliants en couleurs, on la prendrait en photo. Même elle irait au Louvre pour voir la Joconde, qu'elle observerait comme une autre de très loin dans la foule, derrière les reflets durs de la vitre blindée.
    Si la Joconde vivait aujourd'hui, on ferait son portrait en quelques touches abstraites, à l'acrylique ou en sérigraphie, ou même pas du tout, puisqu'on l'aurait tant et tant de fois prise en photo.
    Et elle ne sourirait pas à demi, mais tout à fait en grand, pour montrer ses dents blanches, aiguisées à croquer le bonheur et l'argent. Et derrière elle nul ne soupçonnerait cet horizon si vaste, étagé de montagnes, de vallées, de rivières et de ponts, il n'y aurait au fond de son décor qu'une plage au soleil une tour Eiffel une pyramide un atoll un chameau un gratte-ciel...
     Plus jamais on ne peindra la Joconde.    
    Il faut pour faire une oeuvre que se rencontrent un artiste, une époque, un sujet, dans une conjonction idéale aussi extraordinaire que celle qui donne lieu dans l'univers à la naissance d'une étoile. 
   Jamais ne revient le moment, jamais ne repasse au grand ciel de l'histoire la poussière de comète qui s'est enfuie plus loin.
 
   Si nous l'admirons tant, ce tableau de Léonard, si nous en avons fait l'objet de pèlerinages aussi ardents qu'unanimes, est-ce vraiment parce qu'il surpasse tous les autres ? ou parce que, dans ce portrait plus qu'en aucun autre, nous fascine, dans son mystère fragile, ce moment révélé, cet instant parfait de la Renaissance, unique, à jamais disparu, où l'homme méditant s'est tenu face à la beauté, créateur et maître de toutes choses, au centre d'un monde lumineux dont l'horizon s'élargissait, mordant déjà sur l'ombre, certain encore pourtant de son ordre éternel ? N'est-elle pas, cette Joconde, la quintessence de tout ce que nous avons enfermé, pour oublier que nous l'avions perdu, dans ces musées qui sont nos derniers temples ?
    Passants hâtifs égarés dans la foule, voués au commerce, aux crises, aux ruines menaçantes, à l'urgence des mots, aux désirs qui vacillent, nous l'adorons comme une idole, cette Joconde immobile - et il nous faut aussi nous en moquer, comme il nous faut, pressés de ne pas en pleurer, nous moquer de nous-mêmes.

Publié dans Fables

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N
Il y a longtemps que je n'avais pas ronronné. Ronron.
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M
La photo est vraiment très bonne, insolite et surtout fort amusante!<br /> Ton interprétation est excellente et si bien rédigée! Elle me plaît même si en général je ne fais pas miennes les significations morales et/ou symboliques bien que donner un sens à ce que nous<br /> vivons et à ce que nous voyons est une aspiration normale. PS Je ressens aussi de la poésie dans cette image
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C
<br /> <br /> Merci Michèle. Il est certain que je ne suis pas réellement photographe, ce qui m'intéresse c'est de réfléchir à ce que je vois, de le laisser déclencher quelque chose en moi, et les photos, je<br /> les considère comme des traces du quotidien. Malgré cela, j'attache beaucoup d'importance au travail esthétique de la photographie, et je m'y "donne" "à fond", en essayant de me former autant que<br /> possible aussi à cet art très vaste et difficile à maîtriser, quoiqu'il paraisse "facile" au premier abord.<br /> <br /> <br /> <br />
R
Et pourtant Barbara affirmait que son sourire venait d'outre-tombe ...
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C
Un texte magnifique qui m'invite sur les chemins de l'Europe des Arts et des Mystères... La Joconde, idole au sourire diffus, émanation de nos secrets, inaltérable dans nos mémoires. Une clef, un<br /> songe, une déesse vers laquelle se pressent tant d'espoirs et de névroses intimes et artistiques.<br /> Son regard et son sourire sont comme une musique et les notes volent au vent...<br /> Belle nuit Carole, amitiés<br /> Cendrine
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H
La Joconde d'aujourd'hui est une jeune femme libre, artiste qui sourit à la vie, dessinant de très grands graffiti de Léonard De Vinci.<br /> Et toi tu serais sûrement pas très loin pour la prendre en photo et nous écrire une réflexion sur chacun de ses ¨tableaux¨!<br /> <br /> Hélène*
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G
le Louvre ambulant ?
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Z
encore un "like"..
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P
Bonsoir Carole,<br /> Capter l'instant et lui offrir l'avenir, c'est un art !<br /> Bonne soirée<br /> Anne
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P
Week-end rallongé par une RTT peut être ... La Joconde a le droit d'être moderne non ? A bientôt.
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M
La Joconde, gardienne d'un monde perdu, de nos souvenirs et révélatrice de nos désirs, un mystère inaltérable!
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A
Quel esprit, quel humour pour ce titre et ton texte si beau, si vrai !! A chaque fois, ta vision du petit détail me surprend et m'amuse ! Merci pour le sourire...bises Carole
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V
Superbe ! Ce texte, si bien construit en deux parties qu'il m'évoque un "propos", et s'achevant en ouverture sur une réflexion pleine de profondeur.<br /> Dans ta première partie, la "joconde" rappelle le nain de jardin d'Amélie Poulain ; dans la seconde, elle redevient ce marqueur absolu de l'art de la Renaissance, comme tu le dis si bien. Et cette<br /> présence sur le devant du tableau, tandis que se déroule à l'arrière la merveilleuse "perspective", ne peut qu'évoquer la permanence de l'esprit humain devant le déroulement inéluctable des<br /> choses...
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J
D'une rencontre tout peut jaillir. Le plus fabuleux c'est qu'elle ait traversé les siècles et qu'elle nous parle de son époque avec le même sourire. Bon dimanche Carole. Amitiés. Joëlle
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L
La Joconde, symbole du parfait équilibre,quand rien ne vacillait prêt à s'écrouler,quand l'instant était illuminé et grande l'espérance? Aujourd'hui on peint des icônes de pacotille qui ondulent en<br /> robe lamée sur les écrans de publicité pour nous inciter à l'achat d'un parfum. Qu'on appellera "Joconde", peut-être? Blasphémant une fois de plus...<br /> Lorraine
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C
De François Ier au commun des mortels, une grande pérégrine. Merci pour cette belle méditation esthétique.
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J
Bonsoir Carole...sourire ! Merci pour le tout...
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