La fenêtre de Balzac
Quand j'ai visité, à Passy, la maison aux contrevents verts, la vieille demeure campagnarde où Balzac a longtemps vécu, j'ai eu la surprise de découvrir, dans le bureau très simple qu'il y avait installé, cette fenêtre de manoir gothique.
Surgi de l'obscurité triste d'un soir de mauvais temps, c'était un grand vitrage qui découpait le monde en petits carreaux de couleurs. Un carreau vert près d'un carreau bleu, un carreau gris près d'un carreau mauve, un carreau rouge près d'un carreau jaune... Le monde, ainsi filtré par ces rectangles de verre fanés comme de vieux livres, et cernés de plomb comme de minces caractères d'imprimerie, était une somme de petits univers, enclos sur leurs couleurs, leurs lumières et leurs ombres. Et tout cela réuni recomposait un autre monde, harmonieux et brisé, chatoyant et obscur, précis et trouble comme un vitrail de cathédrale, où l'on reconnaissait pourtant le ciel et les nuages, les arbres et l'herbe des pelouses, les fleurs du jardin et le toit des maisons voisines, tous les humbles détails de la réalité humaine, perçus comme à travers une multitude de lentilles et de prismes magiques, transformant le regard pour l'éveiller, égaré, à tous les étonnements, à toutes les admirations, à toutes les pénombres.
Une vraie fenêtre de romancier.