Hope
J'étais au bord du canal Saint-Félix, photographiant les reflets qui tombaient sur l'eau noire, quand cet homme est venu s'asseoir devant moi. Il faisait froid, j'ai pensé qu'il ne resterait là qu'un instant - car peut-on prendre plaisir à s'asseoir au bord de l'eau, par une froide nuit d'hiver?
Mais il s'est mis à manger quelque chose qu'il avait apporté dans un papier, et à boire, de la bière, je crois. Et à attendre, longuement, regardant l'eau comme s'il avait voulu s'y noyer.
Il y avait dans toute son attitude l'infini désespoir de ceux que la ville repousse, le soir, de ceux qui n'ont nulle part où aller, quand les portes se ferment.
Déjà sa silhouette se perdait d'ombre et les reflets du canal glissaient sur son visage, qui semblait s'effacer. Déjà sa vie se brouillait devant moi, et j'ai eu peur pour lui.
Puis il y a eu, soudain, cette lueur entre ses mains.
Il avait allumé un briquet, pour réchauffer ses doigts sans doute, comme la petite fille du conte. La lueur a dansé quelques moments dans la nuit, étincelle vive et légère.
Alors j'ai vu ce mot sur le bord du ponton - Il m'a semblé lire "Hope"...
Et j'ai pensé que cet homme, malgré tout, allait se relever, et qu'il retrouverait sa route. Puisqu'il tenait encore entre ses mains un peu de la lumière si fragile du monde. Puisque quelqu'un, un autre soir, était venu dans ce coin solitaire écrire pour lui ce mot sur le béton glacé.
A cet instant, l'homme en effet s'est levé, j'ai recommencé à photographier les reflets de la rive et il est reparti vers la ville.