La balafre
- Nantes - Passage Pommeraye -
Jamais je n'avais pensé que les statues d'enfants du Passage étaient, tout simplement, peintes. Et que c'était cette couche de peinture blanche uniforme, sur la pierre au grain inégal, qui leur donnait cet air d'indifférence immaculée, cet air d'appartenir à l'autre monde qui fait d'eux des fantômes pâles et absents au milieu des couleurs criardes et joyeuses des boutiques.
Mais en passant, tout à l'heure, j'ai aperçu de loin cette balafre... Je me suis approchée : la peinture blanche, déjà si grise, partout se boursouflait et s'écaillait sur le corps lisse, la crasse obscure et conquérante envahissait les plis du cou très pur, et des fils d'araignée émoussaient de gris la chevelure noblement sculptée par le grand vent de l'Idéal. Jamais je n'avais pensé que les statues d'enfants du Passage étaient, comme tout dans la ville, soumises aux lois du temps et de l'usure. Et c'était... c'était magnifique et poignant. Cet enfant de pierre vieillissant comme un autre, et portant, sur son clair visage au profil antique, la dure blessure de l'âge, la marque aiguë de ce qui passe. Il m'a semblé qu'il était devant moi comme un vivant. Marchant sur le chemin de la souffrance et de la mort, s'attardant en ce monde fatigué sans chercher à le fuir. Beau, sous la lèpre qui le gagnait, non d'être indifférent, mais d'être un peu plus loin. Parfait, non d'être sans failles et immaculé, mais d'être, malgré tout, un peu plus que lui-même. Humain.
Mais en passant, tout à l'heure, j'ai aperçu de loin cette balafre... Je me suis approchée : la peinture blanche, déjà si grise, partout se boursouflait et s'écaillait sur le corps lisse, la crasse obscure et conquérante envahissait les plis du cou très pur, et des fils d'araignée émoussaient de gris la chevelure noblement sculptée par le grand vent de l'Idéal. Jamais je n'avais pensé que les statues d'enfants du Passage étaient, comme tout dans la ville, soumises aux lois du temps et de l'usure. Et c'était... c'était magnifique et poignant. Cet enfant de pierre vieillissant comme un autre, et portant, sur son clair visage au profil antique, la dure blessure de l'âge, la marque aiguë de ce qui passe. Il m'a semblé qu'il était devant moi comme un vivant. Marchant sur le chemin de la souffrance et de la mort, s'attardant en ce monde fatigué sans chercher à le fuir. Beau, sous la lèpre qui le gagnait, non d'être indifférent, mais d'être un peu plus loin. Parfait, non d'être sans failles et immaculé, mais d'être, malgré tout, un peu plus que lui-même. Humain.